Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On dira peut-être, en les lisant, qu’Albert de Mun n’était pas mort tout entier, ou plutôt qu’il est mort en Louis de Clermont-Tonnerre une seconde fois.

De toutes ces paroles éteintes, de ces graves leçons éloquentes d’histoire et de morale, sur le travail, les syndicats, les associations agricoles, sur les grandes idées de tradition et de discipline, sur l’éminente dignité de la profession et du métier, j’aimerais pouvoir extraire ici quelques passages. Il serait instructif de voir quel sourd travail, en dehors de la vaine politique du Parlement, était en train de se faire dans la conscience française ; on trouverait plus d’un point commun entre les idées de ce jeune féodal et celles qui inspirent les campagnes de Lysis ou de Probus. L’ancien officier, sorti de l’armée où il n’avait pu servir, travaillait ainsi à refaire une France plus grande.


« D’autres peuples, s’écriait-il dans un autre discours, d’autres peuples ont versé leur sang pour étendre leurs domaines ou pour accroître leurs richesses ; la France n’a donné celui de ses enfants que pour faire triompher les causes qu’elle croyait justes... Sans doute, le droit a pu parfois céder à la force en Europe : mais s’il s’y est accompli des forfaits comme le partage de la Pologne... c’est que les pillards avaient choisi pour consommer leur crime... l’heure où la France immobilisée et affaiblie, ne pouvait plus tirer l’épée... »


Ainsi, deux ans avant la guerre, parlait le comte de Clermont-Tonnerre devant un auditoire d’internationalistes, dans cette ville d’Albert que devaient illustrer tant de communiqués...

Cependant, la guerre se prolongeait, sans que nos offensives réussissent à la tirer de sa forme stagnante. Clermont-Tonnerre supportait avec impatience la demi-inaction à laquelle il était condamné. Aussi, quand le commandement décida que tout officier d’état-major serait tenu d’exercer un stage dans le rang, il saisit l’occasion avec joie ; de plus en plus il se retournait vers les humbles qui avaient été le grand amour de sa vie ; il demanda une compagnie dans un des régiments de la division, le 4e Régiment de marche de Zouaves, lieutenant-colonel Richaud. La demande resta plus de six mois sans réponse. Mais voici que l’immobilité du front occidental commençait à trembler et retentissait de coups sourds. On entrait dans une phase nouvelle de la guerre. Ce n’étaient plus les émotions rapides