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main généreuse pour gravir d’échelon en échelon ; le noble, c’est le social. Pour faire cet office, il n’a pas besoin d’ancêtres : il est lui-même un ancêtre, il ne lui faut que du cœur. Trois sentiments intimes l’y stimulent : l’amour, s’il est bon ; le devoir, s’il sait le comprendre ; la raison, s’il veut bien réfléchir.


Ces vues audacieuses, frappantes, cette large manière d’envisager l’histoire ; cette foi ardente dans l’avenir, cette flamme, cette absence d’égoïsme, cette voix de chef et d’apôtre, cette jeune autorité étaient quelque chose d’émouvant. Ce n’était plus ici le camarade secret, volontiers silencieux, que j’avais connu jusqu’alors : c’était le ton d’un maître, l’assurance d’une passion de servir. On sentait une pensée méditée et mûrie, s’élançant de la solitude à la conquête des âmes. Cela sonnait comme une fanfare, un cri de ralliement, et c’était pathétique aussi, ce grand appel jeté par un nom du passé à toutes les forces du monde moderne. Comme il y avait eu des hommes de son sang à toutes les pages de notre histoire, après celui de Marignan et celui de Pavie, après ceux de la Rochelle et ceux de Fontenoy, après ceux enfin des guerres de l’Empire, celui-ci voulait inscrire son nom au service du pays, sur le champ des batailles sociales. On se trouvait en présence d’un de ces beaux types patriciens comme les aime le génie de François de Curel, et comme il en a mis à la scène dans le Repas du Lion ; mais c’était le héros intact, avant la catastrophe et le désenchantement ; c’était enfin le héros vivant, auquel la majesté authentique du nom prêtait l’intérêt positif qui manque à la plus belle création littéraire.

Il faudrait pouvoir raconter son enfance, sa jeunesse toutes rurales, en pleine campagne picarde, au château de Bertangles, et ce qu’il dut de ses idées et de son tour d’esprit à cette éducation encore toute féodale dans une ancienne province française ; puis le séjour à l’armée, les voyages, une exquise formation religieuse, les commencements de la vocation sous le maître émouvant que fut Albert de Mun. Ce sera l’œuvre d’un biographe. Il faudra expliquer, dans cette génération qui fut celle des Péguy, des Ernest Psichari, des Marc Sangnier, génération toute mystique au milieu d’une France officiellement athée, quelle fut ou quelle aurait été la place d’un Clermont-Tonnerre. Il faudra recueillir ses discours admirables.