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sur la dune de Nieuport, en face de la mer, sur cette triste frange sablonneuse des Flandres, dont il goûtait si bien la pénétrante mélancolie !

Un jour, trois mois peut-être après notre rencontre, quand il jugea l’entente assez mûre entre nous pour se livrer tout à fait, il me donna à lire un petit écrit de cinquante pages, à couverture jaune, de format populaire, orné d’une dédicace où il se promettait des espoirs de longue amitié. Ces cinquante pages, datées de l’année 1911, et hardiment intitulées : Pourquoi nous sommes sociaux, étaient une profession de foi à forme de discours, une de ces lettres écrites aux amis inconnus, un appel et une confidence, un programme et un manifeste. Le jeune homme de trente-trois ans y avait résumé toute son expérience et ses raisons de vivre : il y racontait discrètement ses luttes, ses déboires, l’histoire de sa vocation, ses souvenirs de voyages et de vie militaire ; il s’y était mis tout entier. Il y avait condensé ses idées de jeunesse et ses desseins d’âge mûr. C’était une de ces déclarations que l’on fait une fois pour toutes au seuil d’une existence, après un long temps de recueillement, au moment d’engager l’action. J’ignore à quelle occasion ce discours fut composé ; il avait paru d’abord au Correspondant. L’auteur y attachait du prix, puisque c’est le seul de ses ouvrages qu’il eût pris la peine de recueillir et auquel il se fût préoccupé d’assurer quelque publicité.

On y lisait cette page fameuse de l’Ancien Régime.


Au Xe siècle, écrit Taine, peu importe l’extraction du noble : souvent, c’est un comte carlovingien, un bénéficier du roi, le hardi propriétaire d’une des dernières terres franques. Ici, c’est un évêque guerrier, un vaillant abbé ; ailleurs, un païen converti, un bandit devenu sédentaire, un aventurier qui a prospéré.

Au XXe siècle, poursuivait l’orateur, il en est de même : enrôlons tous les privilégiés de fait, ceux qui ont en partage les dons de la naissance, de la fortune, du savoir, de l’intelligence ; tous les riches, ce mot étant pris dans son plus large sens : nobles possesseurs de terres familiales, maîtres de forges héréditaires, ouvriers devenus patrons, économistes, savants, écrivains, orateurs, poètes ou artistes, tous ceux auxquels une supériorité quelconque donne une parcelle d’ascendant sur leurs frères... qu’importe leur extraction ? Le noble aujourd’hui, c’est l’éducateur ; c’est celui qui met en valeur le capital concret ou abstrait qu’il a reçu, qui s’en sert pour améliorer l’état matériel ou moral de ses frères, qui leur tend une