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Vous voici ! vous voici ! comme l’on peut attendre !
Lorsque l’on est heureux, comme on peut oublier !
— Cet enfant que je fus, tumultueux et tendre.
Son cou frêle penchant au bord du tablier,

Cet enfant que je vois courir sur la pelouse,
Fantôme où tant de fois mes yeux se sont complus,
Pourquoi s’éloigne-t-il ? en seriez-vous jalouse ?
Le repousseriez-vous, qu’il ne me touche plus ?

Pourtant, vous le savez, des que mon âme aimante
S’ouvrit à la lumière et put se définir,
Vous en fûtes l’hôtesse inconnue et charmante
Que l’on attend à l’aube et qui tarde à venir.

Vous peupliez mon rêve à peine étiez-vous née,
Et quand j’avais encor l’ardoise et le cerceau.
J’apprenais mes leçons toute la matinée,
Le soir, je m’enfuyais près de votre berceau.

Je songeais : « Elle dort dans son creux de dentelle ;
Elle est bien loin d’ici ; sous quel astre ? en quel lieu ?
Son père est-il puissant ? — quelle marraine a-t-elle ?
Marche-t-elle déjà ? — lui parle-t-on de Dieu ? »

Plus tard, je vous voyais, sur votre catéchisme,
Fine, les cils mouvants, blonde comme l’été ;
Vous saviez tout : les participes, le Grand Schisme ;
Je rougissais déjà, de mon indignité.

Puis, quand ce fut fini d’histoire et de solfège.
On lia vos cheveux ainsi que les blés mûrs :
Votre nœud tour à tour fut blanc, bleu pâle, beige…
— Comme ces souvenirs sont tranquilles et purs !

Voyez-vous : ce fut là le meilleur de mon être.
Vous m’avez éclairé le fonds intime et doux.
Si mon enfance fut si belle, c’est, peut-être,
Chère, d’avoir été toute pleine de vous