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ma seule ambition a été aujourd’hui de faire partager au lecteur, — en une bien faible mesure, — le charme exaltant et presque épuisant.

Les soldats de France sont venus. Depuis quarante-huit ans sous le joug, depuis quatre ans dans la géhenne et les fers, l’Alsace et la Lorraine les attendaient. Ils s’en étaient frayé l’accès par quatre ans et demi de combats qui ont rempli l’univers d’une admiration sans réserve. Entre eux et les frères qui, murés en leur prison, leur tendaient les bras, les murailles s’étaient, sous leurs coups, écroulées, et, de toutes parts, du 17 au 25 novembre, on les a vus pénétrer, au milieu d’un délire d’amour, par les Vosges, par la vallée de la Moselle, de la Seille à la Sarre, des monts à notre grand Rhin, dans les villes, bourgs, villages alsaciens et lorrains exaltés de joie et de reconnaissance. L’Alsace et la Lorraine ont, comme nul peuple ne l’avait jamais fait, accueilli leurs libérateurs et, en quelques heures, à l’étonnement du monde, après quarante-huit ans de séparation, des fils ont pu montrer à la Mère revenue des cœurs que l’épreuve n’avait fait qu’exalter. Pendant des semaines, nous avons vu les villes en fête se réunir, en un grand élan, à la patrie à qui, jadis, on les avait arrachées. Chacune a apporté, dans l’accueil magnifique fait à cette patrie retrouvée, le meilleur d’elle-même.

De Mulhouse acclamant la liberté à Metz bénissant le Très Haut, de Strasbourg jetant sous les pieds des soldats les débris d’un régime délesté, à Colmar leur apportant, rayonnante de fierté, le témoignage d’une fidélité gardée dans les tourments, des villages de la Lorraine où les vieillards chantaient le Nunc domittis, où les jeunes filles clamaient le Magnificat, aux bourgs des Vosges qui, prêtant depuis quatre ans une oreille frémissante à notre canon, dévalisaient maintenant les sapinières pour élever aux vainqueurs de la grande guerre des arcs de triomphe, aux moindres hameaux de la plaine qui faisaient monter vers Sainte-Odile ou rouler vers le Rhin les accents de la Marseillaise, ce fut, variée en ses manifestations, mais toute pareille en son exaltation, une manifestation d’amour telle qu’en aucun temps, aucun pays n’a donné pareil spectacle. Comme l’écrivait un poilu très simplement : « Cela valait vraiment la peine de se battre quatre ans. »