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à la France qui, éperdue de surprise, les regardait passer.

Les pieds semblaient quitter le sol dans cet élan ; les mains restant unies, ces jeunes femmes semblaient parfois composer une immense farandole ; le plus souvent, elles couraient comme hors d’haleine, s’arrêtaient une seconde, lançaient vers le Président, les présidents, les maréchaux, des nuages de fleurs et repartaient, courant, criant, riant aux anges. et toujours les sociétés, les corporations, les villages, toujours les maires, les curés, les bonnes sœurs, de graves notables qui, oubliant leur gravité, médecins, notaires ou propriétaires, lançaient en l’air leur chapeau ; toujours les bannières, les drapeaux, les oriflammes, les rubans flottants, tout un pays qui, en passant, jetait à la tribune non pas seulement fleurs et baisers, — des cœurs, des cœurs, des cœurs par milliers.

La nuit tombait, la cathédrale rouge devenait d’un brun sombre, les palais se voilaient de brume bleue, qu’il en passait et en passait toujours.

L’apothéose ! Le mot fut sur toutes les lèvres. Ceux qui, comme nous, depuis cinq semaines, allaient de spectacles émouvants en émouvants spectacles, devaient avouer que celui-ci, — du défilé des troupes de France à celui de toute cette Alsace, — emportait tout. Une sorte d’ivresse, de griserie délicieuse se dégageait pour tous de cette manifestation, sans précédent, de joie et de tendresse ; c’était un demi-siècle d’espérances comprimées qui faisait explosion ; penchés sur cette arène où défilait ce peuple, nous nous sentions presque pris d’un vertige, haletants devant ce prodigieux acte d’amour. Le Président, debout, participait plus qu’aucun d’entre nous à cette ivresse magnifique. On le reconnaissait à peine : son front semblait ne plus devoir s’embrumer de soucis ; son regard clair étincelait, et ce n’était certes pas sourire officiel, mais franc rire de joie qui éclatait sur ses lèvres. Et la Marseillaise s’éleva, formidable et splendide.


L’apothéose, elle allait se continuer : j’en vis les dernières flambées à Colmar, à Mulhouse.

Délicieuse matinée de Colmar ! le ciel, plus clément que la veille, s’éclaire d’un rayon de soleil quand, devant Rapp. le Président, ayant à ses côtés le grand soldat, déjà si populaire en