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Après la France, on attend l’Alsace. Dans la tribune du Président, je devine le bon magicien qui sourit.

Du côté des bâtiments de l’Université, dans la légère buée bleuâtre, on sent vaguement qu’une foule s’agite, qui va se déverser : des éclairs en sortent ? des bannières s’estompent, et soudain, dans le large lit que lui fait la haie des soldats bleus, le torrent se déchaîne. Oui, c’était bien l’Alsace, l’Alsace tout entière qui allait apparaître. Ce fut d’abord l’avant-garde étincelante des hauts casques de cuivre, les pompiers, — oh ! des pompiers très pareils aux nôtres, n’était la hauteur des casques, mais casques retrouvés, repris, qui eux aussi étaient proscrits ; puis, derrière ces casques imposants, un premier bataillon de papillons ailés, des centaines de jeunes filles se donnant le bras ou la main et passant au pas que marquaient nos fanfares ; et alors le torrent se mit à couler à pleins bords et tout y était : sociétés sportives réarborant l’uniforme d’antan, sociétés musicales sonnant de tous leurs cuivres la Sambre-et-Meuse, confréries groupées autour de leurs bannières, corporations autour de leurs enseignes, étudiants au béret tout neuf de velours, aux écharpes tricolores flottantes, puis cavaliers de la campagne solides en selle agitant des drapeaux, vétérans graves et comme recueillis derrière leurs oriflammes, conscrits de la classe 1921 agitant de telle façon leurs bâtons à flots de rubans qu’ils passent dans un nuage tricolore, soldats français de l’avenir après ces soldats français du passé, et puis des bourgs, des villages, des pays entiers, les maires ceints de l’écharpe, à la tête de leurs communes mobilisées, les curés, les pasteurs à la tête des paroisses, des garçons vêtus comme l’Ami Fritz, levant bien haut le bicorne de feutre enrubanné, le torse moulé par le gilet rouge et les longues basques de l’habit battant les mollets de blanc drapés, des femmes, des filles, des jeunes, des vieilles, des petites, des toutes petites aux mains de grandes sœurs ou de fortes mères, parfois de religieuses de Ribeauvillé ou de Niederbronn, ces « bonnes sœurs de la résistance, » marchant à la mesure des musiques militaires, et toujours et toujours des papillons volant en quelque sorte, mais par essaims énormes : cinq cents, huit cents papillons groupés par « pays. »

Entre un essaim de papillons noirs et un essaim de papillons à fleurs, une surprise : bonnets tout proches de la coiffe