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transes, chacun avait dérobé aux réquisitions et perquisitions allemandes. Un seul brasseur de Strasbourg apporta fort tranquillement 12 050 marks en or, contre lesquels, trois mois plus tôt, l’Allemand lui eût donné plus du double en papier ; dans cette petite ville de Bischheim, dont nous voyions tout à l’heure la jeunesse enlever si vivement un si haut fonctionnaire, 80 000 marks d’or furent en un jour versés. D’autre part, l’Emprunt de la Libération se fermant le 24 novembre, on avait vu, de Metz à Mulhouse, Alsaciens et Lorrains se précipiter dans les banques pour y souscrire.

Au reste, les affaires reprenaient partout, ainsi que l’écrivait avec étonnement un soldat alsacien libéré, arrivant le 24 à Mulhouse, « comme si les Allemands étaient partis depuis des années. »

Les enseignes se repeignaient : les Eugen redevenaient Eugène, les Peter Pierre, les Gebrüder se transformaient en frères et les Nachfölger en successeurs. Dès les premières heures, l’une des principales brasseries de Strasbourg s’était baptisée Restaurant de la Morne, — et tout suivait. Avec quelle mine heureuse et un peu malicieuse, les peintres, aux noms allemands substituaient les français ! Passant à Forbach pour aller à Sarrebrück, je m’arrêtai un instant pour le plaisir de contempler deux de ces artistes achevant la confection d’une belle enseigne : Au Bon Marché. Ils y mettaient une si évidente délectation que moi-même je m’en sentais presque ému. « Ah ! mon lieutenant, me disait l’un d’eux, on y met tout son cœur ; regardez-moi ça, est-ce bien ? Au Bon Marché, ça sonne autrement que leur charabia ! » Oui, repeindre une enseigne, c’était une fête.

C’était une fête encore pour les enfants que d’aller en classe parce que l’on y apprenait la Marseillaise. Un jour, passant à Colmar devant une école, je m’arrêtai avec plaisir sous les fenêtres entr’ouvertes. Oh ! les gentilles petites voix qui repentaient « pour Monsieur le Président Poincaré » : « Ranchez fos padaillons. » Plus tard, ils chanteront : « Rangez vos bataillons ; » mais la saveur de ces premières leçons de Marseillaise, on ne la retrouvera plus.

A Metz, les plaques des rues, brusquement, s’étaient, M. Prével installé à la mairie, modifiées. J’avais été un beau soir logé au Kaiser Wilhelm Ring ; je repartis, deux jours après, de l’Avenue du Maréchal-Foch, et cela me fit grand plaisir,