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de tricolore, à cheval, dans le dessein avoué d’enlever M. le Haut Commissaire de la République, avaient à cet effet assailli son automobile, et contraint (assez facilement) ce puissant administrateur, riant de cette douce violence, à venir voir qu’à Bischheim on gavait fêter la France aussi bien qu’à Schilligheim et qu’à Honheim. Les jeunes gens ayant détourné M. le Haut Commissaire, les jeunes filles à papillon avaient, à son arrivée, enveloppé d’une farandole la voiture officielle. C’étaient les mœurs de cet âge d’or. Partout les commissaires français obtenaient le même succès : M. Mirman, ayant foudroyé par une terrible proclamation, — qui restera célèbre, — les Allemands demeurés en Lorraine (« notre préfet-commissaire n’y va pas par quatre chemins, » écrit-on de Metz), avait par là, plus encore que par sa belle déclaration d’amour aux Lorrains, gagné dès la première heure le cœur de ses administrés. Quant au commissaire de Colmar, M. Poulet, le « commandant Poulet, » comme on l’appelait encore, il était arrivé précédé d’une réputation que lui valaient les quatre années, durant lesquelles, à Saint-Amarin, il avait fait régner dans les quatre cantons alsaciens reconquis, en plein âge de fer, cet âge d’or que maintenant vivait le reste de nos provinces retrouvées. Jamais administrateurs ne s’installèrent, entourés d’une pareille atmosphère de confiance, de sympathie et d’espérance.

Déjà certaines des espérances se réalisaient. Un instant, on avait pu craindre que la question du mark ne vînt assombrir les visages : si le mark était changé — obligatoirement — contre le franc, au taux où il était tombé (0 fr. 60), l’Alsace-Lorraine était à demi ruinée. D’un autre côté, c’était pour le Trésor français grosse perte que de payer le mark à sa valeur d’origine (1 fr. 25). Déjà certains Alsaciens déclaraient qu’on ne pourrait pas « en vouloir » à la France, financièrement si éprouvée, de ne pas s’imposer cette perte. Or, d’un geste princier, la France faisait à l’Alsace-Lorraine ce royal cadeau. « La France, écrivait un Lorrain, s’est montrée très grandiose envers les Alsaciens-Lorrains. Le change d’argent se fera sans perte. »

L’Alsace-Lorraine de son côté, et sans attendre cette singulière preuve de la faveur française, avait soudain apporté à la Mère Patrie tout l’or que, depuis quatre ans et plus, Dieu sait au risque de quels dangers et, partant, au prix de quelles