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moi qui leur reprocherons, n’est-ce pas ? de nous recevoir à coups de fusil. » Et cet homme à la fois sensible et dur, comme sont souvent les militaires, conclut avec mélancolie : « Je les aime et je les tue. »

Le plus surprenant peut-être, c’est que ces Berbères de l’Atlas, si acharnés à se défendre, montrent une aisance étonnante à s’adapter, sinon à notre esprit, du moins aux formes pratiques de notre activité, dès qu’ils descendent dans la plaine et qu’ils vivent à notre contact. Ce sont eux qui, déferlant sans cesse des montagnes où la vie est difficile vers la plaine où elle est plus douce, constituent le vrai fond de la population maughrabine et donnent au Maroc le caractère tout à fait original d’un pays d’Islam travailleur et peu fanatique. La civilisation musulmane les ayant à peine effleurés, ils ne lui ont pas emprunté ce noble amour de la paresse, ce mépris du travail qui caractérise l’Orient. Ce n’est pas une humanité raidie, comme l’Arabe, dans les préceptes d’un Livre qui commande toutes les pensées et tous les actes de la vie. Actifs, gais, ouverts, âpres au gain, politiciens, bavards, frondeurs, ils ont beaucoup du caractère des paysans de chez nous et même physiquement leur ressemblent avec leur physionomie avisée, leur collier de barbe peu épaisse, leurs traits frustes et qui n’ont rien de la régularité sémitique. Dans les villes de l’intérieur et de la côte, on les reconnaît tout de suite au milieu des populations moresques si affinées et si molles. Partout on les rencontre sur les chantiers et les routes. Ils ont fourni presque tous les soldats de cette division marocaine, fameuse sur le front de France. Volontiers ils vont travailler à Lyon, à Marseille, à Bordeaux, dans nos usines de guerre. Ils sont notre meilleure ressource dans l’effort que nous faisons pour vivifier le vieil empire du Moghreb. S’ils luttent encore contre nous dans ce réduit de l’Atlas, c’est de la même façon qu’ils luttaient contre Rome, par amour de la liberté et non par cet esprit de fanatisme religieux qui éternise, même après la défaite, de vagues espoirs de guerre sainte toujours vivants au fond du cœur.


De chaque côté de la vallée, les montagnes s’étaient insensiblement rapprochées, et nous étions maintenant au fond d’un cirque de rochers couvert de chênes verts et de cèdres, qui semblait infranchissable. Là commence le col de Tarzeft, point