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étions moins nombreux. Partout nous avons résisté à la poussée des tribus, auxquelles les émissaires allemands racontaient tous les jours que nous étions battus en Europe, et qu’elles n’avaient qu’un suprême effort à faire pour nous expulser du pays. Partout nous avons affermi notre occupation ancienne, agrandi au delà de tout espoir les régions pacifiées, mis à profit le trouble même apporté par le conflit et la rupture des traités qui paralysaient notre action, pour créer librement des routes, des chemins de fer, des ports, des villes, réveiller ce pays mort et l’animer comme par enchantement... Mais les événements formidables qui se sont déroulés sur notre sol ont fait paraître peu de chose cette œuvre magnifique et lointaine. Peut être aussi parce que la lutte s’est poursuivie sans à-coup, grâce à une vigilance et une méthode parfaites, on est trop disposé à croire que la tâche était facile et que les choses ne pouvaient se passer autrement. Et surtout, pendant dix années, nous avons été fatigués d’une longue suite irritante de négociations, d’accords, que nous lisions dans les journaux d’un œil inquiet et lassé sans en comprendre le détail, mais où chacun sentait trop bien des menaces secrètes, d’où nos ennemis, à leur moment, pourraient faire sortir la guerre. En sorte qu’en dépit du succès que nous y rencontrons, le Maroc porte sur lui la défaveur d’avoir été pour nous si longtemps une terre d’inquiétude, un sujet de disputes passionnées à la Chambre, un champ de bataille toujours ouvert pour deux diplomaties rivales,.

Ainsi s’en va la rêverie sur ce cratère de Timhadit, entre les quatre murs de la chambre qu’un officier du poste a mise à ma disposition. Dehors, il pleut à verse. La première pluie d’automne, mêlée d’éclairs et de tonnerre, crépite sur la tôle ondulée, plaque les bâches sur les sacs de grains. Du cèdre brûle dans la cheminée, emplissant l’étroite pièce de son odeur de chapelle. Arbre vraiment merveilleux à tous les moments de sa vie, merveilleux dans la montagne, merveilleux dans l’architecture des cités, merveilleux quand il flambe et qu’il exhale son âme en parfum. Sur les murs blanchis à la chaux, pendent quelques tapis berbères, avec des raies blanches et noires et les croix de couleur vive qui en sont le décor le plus fréquent. A la patère est accroché un bras de buis verni, le bras articulé du maître du logis, qui a laissé son bras de chair et d'os dans quelque tranchée du front de France, et qui