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magique au milieu de ce paysage contemporain de très vieux âges du monde), nous descendîmes la falaise d’Ito, laissant à notre droite le domaine des cratères éteints, qui disparut comme un mirage. En bas nous ne trouvâmes, au lieu de pierreries, que les gros cailloux ronds en forme de boulets, dont l’artillerie volcanique a rempli ces fonds de vallée. Roulant, bondissant, dérapant au milieu de ces pierrailles, de cahot en cahot nous arrivâmes à la forêt de cèdres.


Dès qu’on entre parmi ces arbres, qui dépassent en magnificence tous les arbres de nos bois, on a l’impression d’avoir soudain rapetissé, d’être devenu lilliputien, de pénétrer dans un règne de la nature où tout est de proportions plus vastes, où la vie des hommes, des animaux et des plantes a plus de force et de durée. Tandis que nos grandes futaies nous accablent de leur ombre et de leur mélancolie, ici au contraire la foret aérée et lumineuse respire moins le mystère de la légende que la sérénité d’une haute pensée claire. Au-dessus d’une brousse épaisse de thuyas et de chênes verts, les troncs énormes, largement espacés, portent leurs ramures étagées comme les gradins d’une immense architecture végétale. Chaque arbre, royalement isolé dans un domaine qui n’appartient qu’à lui, fait songer à quelque palais d’été aux multiples terrasses superposées et verdoyantes. Les uns s’achèvent en pyramide de quarante mètres de hauteur. D’autres, brisés par le vent ou par l’âge, forment à leur sommet des nappes de verdure, pareilles à des prairies aériennes. D’autres, plus étonnants encore, sans aucune verdure sur leurs branches, se dressent comme de grands cadavres d’une blancheur sépulcrale. Surprenantes momies d’arbres embaumées dans la résine qui les garde pour des siècles contre la pourriture, et les laisse debout indéfiniment dans la mort ! Au milieu de cette forêt si empressée à vivre, ces géants pétrifiés ont la solennité du temps, l’indifférence d’un obélisque au-dessus d’une foule humaine occupée à ses besognes d’un jour. La plupart ont succombé à la vieillesse ; beaucoup aussi ont été les victimes d’un drame fréquent dans ces forêts. Pour abattre ces colosses qui atteignent cinq ou six mètres de tour, c’est l’habitude des bûcherons de mettre le feu à leur pied. Il n’est pas rare