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ce qu’il aime, peut non seulement vaincre « Maures et Castillans, » mais se vaincre, vaincre son amour même ? Et qu’est-ce que ce Discours si souvent attribué à Pascal, et qui ne serait pas indigne de lui, sinon un premier exposé des principes dont Aceste est la mise en œuvre ? J’en rappelle quelques lignes, car la comparaison s’impose :


Qu’une vie est heureuse, quand elle commence par l’amour et finit par l’ambition !

Il semble que l’on ait tout une autre âme quand on aime que quand on n’aime pas ; on s’élève par cette passion, et on devient toute grandeur.

Cet attachement à ce qu’on aime fait naître des qualités que l’on n’avait pas auparavant. L’on devient magnifique sans l’avoir jamais été. Un avaricieux même qui aime devient libéral... L’on en voit la raison en considérant qu’il y a des passions qui resserrent l’âme et la rendent immobile, et qu’il y en a qui l’agrandissent et la font répandre au dehors.


Un si beau langage ne saurait nous tromper. Non, la conception que Vauvenargues se fait de l’amour n’est ni fausse, ni périlleuse. Aimer, c’est pour lui avoir une foi, c’est avoir un idéal, et en ce sens il a mille fois raison de croire que le pouvoir de l’amour est immense. Je me suis dit souvent en remuant les cendres du passé, en évoquant les morts glorieux dont la vie privée appartient à l’histoire, qu’ils illustrent de bien beaux exemples la doctrine de Corneille et de Vauvenargues. Qui nommerai-je de tous ceux dont l’amour a soutenu le courage et fécondé le génie ? De Dante ou de Michel-Ange à Lamartine ou à Michelet l’énumération serait longue. Balzac lui-même, malgré sa formidable puissance de travail, eût succombé sans le surcroit d’énergie qu’il a trouvé chaque jour et pendant quinze ans dans sa correspondance avec « l’étrangère. » Et Hugo n’oubliait pas qu’aux heures tragiques de sa vingtième année son amour pour Adèle Foucher. son ardent désir de se rendre digne d’elle, avait été le secret de sa force Combien Vauvenargues eût aimé le soupir que le poète laissait échapper dans l’âge mûr en relisant ses « lettres à la fiancée : »


O mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse !