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donc bien plus habiles de vous être détrompés de si bonne heure de ce qu’on appelle les illusions de la jeunesse ? Vous avez vieilli, mes amis, avant le temps… Je vous plains, car il n’y a d’erreur qu’à chercher hors du sentiment ce que ni l’esprit, ni l’usage, ni l’art, ni la science ne peuvent donner. »


Celui qui aime « n’est plus ni libertin ni dissipé ; n l’envie, l’intérêt, la haine « n’ont pas de place dans son cœur ; » il ne se pique plus « que d’être bon. » En d’autres termes, l’amour nous agrandit et nous purifie, il centuple nos forces pour le bien. Ainsi parle Vauvenargues, non sans hardiesse. Autour de lui, l’amour n’était pas seulement la passion suspecte contre laquelle tonnait la chaire chrétienne, dont la tragédie et le roman contaient les crimes et les malheurs : l’amour était un ridicule, dont les petits-maîtres mis en scène par La Chaussée ou Marivaux et les élégants débauchés dépeints par Crébillon fils se gardaient comme de la peste ; dans le boudoir ou la petite maison, l’amour ne s’appelait plus que la volupté, « l’échange de deux fantaisies… » Il ne s’est laissé déconcerter ni par les railleries, ni par les analhèm.es, ni par la corruption environnante. « Toute ma philosophie, avait-il écrit un jour à Mirabeau, a sa source dans mon cœur ; « et c’est en écoutant son cœur, c’est en jugeant le cœur de l’homme d’après le sien, qu’il s’est senti le droit de réhabiliter l’amour.

Je n’ignore pas qu’après lui d’autres vont venir, romanciers, philosophes ou poètes, qui reprendront son idée, et qui en la reprenant, en la vulgarisant, risqueront de la compromettre. Je n’ignore pas que Rousseau et quelques-uns de nos romantiques se sont complu en de dangereux paradoxes où il avait évité de tomber ; ils ont entrepris de poétiser les pires égarements de la passion, ils ont même prétendu les légitimer, ils ont invoqué je ne sais quel i(droit de nature, » en vertu duquel, selon le mot de Chamfort, un homme et une femme qui s’aiment, s’appartiennent, quelque obstacle que puisse mettre entre eux la loi divine ou humaine. Il n’y a rien de semblable chez Vauvenargues. Il s’adresse aux jeunes gens qui sont, comme lui et son cher Hippolyte de Seytres, des âmes saines, et il ne leur dit en somme que ce que disaient déjà, un siècle plus tôt, l’auteur du Cid et l’auteur inconnu du Discours sur les passions de l’amour. Qu’est-ce, en effet, que le Cid sinon l’histoire d’un homme dont l’amour fait un héros, et qui, par-