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seconde moitié du XVIIIe siècle ; et malgré son goût très vif pour Voltaire, il lui était difficile de deviner vingt ou vingt-cinq ans d’avance que celui-ci serait un jour en France et dans l’Europe entière le maître de l’opinion. Il le voyait contesté, attaqué de toutes parts, et n’enviait pas sa renommée. Une de ses Réflexions parle des jeunes gens qui se flattent de se faire un nom dans les lettres : « Comme ils sont vivement frappés de la beauté ou de la grandeur de certains génies, ils ne peuvent s’imaginer qu’il y ait des esprits insensibles à cet éclat... A mesure qu’ils avancent dans la vie, ils reconnaissent combien ils se sont trompés. » Il revient à la charge dans Sénèque ou Curateur de la vertu, et, s’animant, il s’écrie : « O mes amis, pendant que des hommes médiocres exécutent de grandes choses ou par un instinct particulier ou par la faveur des occasions, voulez-vous vous réduire à les écrire ?... Ce n’est point par des paroles qu’on peut s’élever sur les ruines de l’orgueil des grands et forcer l’hommage du monde, c’est par l’activité et l’audace, c’est par le sacrifice de la santé et des plaisirs, c’est par le mépris du danger, et par les grandes actions que ces vertus produisent. »

Oui, la gloire qui avait longtemps bercé ses songes et à. laquelle il n’a pas renoncé sans déchirement, est celle de l’homme d’action, du meneur d’hommes, d’un Turenne ou d’un Richelieu. Il glorifie la force agissante, et d’autant plus qu’il était débile et maladif : il ne l’a jamais glorifiée sans s’inquiéter du but qu’elle vise et des moyens qu’elle emploie. Sa devise à lui est : « La volonté dans l’action, l’action pour la gloire, la gloire par la vertu. » Il avait, comme son ami Voltaire, le culte des grands hommes par qui l’humanité progresse, non celle du « surhomme » qui se met en dehors d’elle. Il estimait les forts, les audacieux ; il faisait cas de Cromwell, et ne méprisait pas Retz, qui n’a été qu’un brouillon, mais tout débordant de vie. Il eût admiré Danton peut-être, certainement Napoléon et les soldats de la Grande Armée, plus certainement encore ceux qui, pendant plus de quatre ans, tendant leurs muscles et leurs nerfs, ont lutté victorieusement pour la défense de la justice et de la liberté. Ah ! ceux-là, que nous avons vus si magnifiquement ennoblis par un effort surhumain, ceux-là sont bien ses fils ; ils ont réalisé tout ce qu’il attendait de l’homme. Mais il eût reculé d’horreur devant les forts qui ne