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embarras d’argent, de l’obligation où il est d’emprunter, des difficultés qu’on lui fait pour un prêt de mille ou même de cinq cents livres. Et avec cela, point de santé : dans cette correspondance de jeune homme, il est bien souvent question du médecin. Il a la poitrine délicate et la vue si faible qu’il se plaint de ne pouvoir ni lire ni écrire. Il s’excuse de son écriture peu lisible. Il voudrait aller en Angleterre pour consulter des médecins en renom » sur ses yeux et sur d’autres incommodités ; » mais le voyage coûte trop cher.

Officier depuis 1734 au régiment du Roi-infanterie, après avoir fait campagne en Italie, il est revenu mener d’une ville dans l’autre, à Arras, à Reims, à Verdun, la monotone et fastidieuse vie de garnison. Il est capitaine en 1741, quand s’ouvre la guerre de la succession d’Autriche : va-t-il connaître la gloire des armes dont s’enivrent constamment ses rêveries ? Il est de ceux qui entrent à Prague en vainqueurs ; mais il y entre triste, ayant vu mourir quelques jours plus tôt Hippolyte de Seytres, le petit sous-lieutenant de dix-sept ans qu’il aimait comme un jeune frère, dont il était le confident et le sage conseiller. L’hiver suivant, pendant la désastreuse retraite, il a les deux pieds gelés, et, de retour en France, force lui est de s’avouer que sa carrière militaire doit prendre fin.

N’importe ; il peut servir encore et s’illustrer d’une autre manière, en entrant dans la diplomatie. A deux reprises, il écrit au Roi et au ministre des Affaires étrangères, en priant le duc de Biron, son colonel, de leur transmettre ses lettres : lettres naïves, lettres touchantes, où il expose ses titres et dit son désir de se rendre utile, en croyant qu’il n’en faut pas plus pour être exaucé. On ne lui répond même pas. Sur quoi, après avoir patienté plusieurs mois, il envoie sa démission au colonel, et adresse au ministre une dernière lettre parfaitement digne :


Monseigneur.

Je suis sensiblement touché que la lettre que j’ai eu l’honneur de vous écrire, et celle que j’ai pris la liberté de vous adresser pour le Roi, n’aient pas pu attirer votre attention. Il n’est pas surprenant peut-être qu’un ministre si occupé ne trouve pas le temps de s’occuper de telles lettres ; mais. Monseigneur, me permettrez-vous de vous dire que c’est cette impossibilité morale, où se trouve un gentilhomme qui n’a que du zèle, de parvenir jusqu’à son maître, qui fait le découragement