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La raison, la conscience lui en montrent le mal. Il maudit cet amour. Dans un éclat de désespoir où il se laisse emporter, il en vient presque à maudire sa dame elle-même, « celle qui pour sa mort est née. » II nous laisse un instant supposer chez elle quelque orgueil ou quelque égoïsme. « Elle a trop plu à moi, et à elle-même. » Il maudit du moins les vers d’amour, ces fadaises, le soin inutile appliqué depuis tant d’années à combiner de vaines paroles ; il pleure sur le temps perdu.

La mort est devant lui. Il ne sait pas quel terme le ciel lui a fixé. Mais il sait que les jours passent et que vient l’âge :


Que blanchit mon poil,
je le vois bien, — et quo change en moi tout désir !


Le temps du départ ne peut pas être bien éloigné. Il ne l’ignore pas : pourtant sa volonté fléchit et ne peut se résoudre à secouer sa chaîne. Il remet de jour en jour, il discute avec lui-même. Il a cette témérité folle de « marchander » avec la mort ! Car il va caressant sans cesse quelque nouveau dessein pour la vie, alors que la mort est à son côté.


XIV

Tandis qu’il « marchande » avec elle, au loin la mort a frappé. Madame Laure est au tombeau.

Nous voici venus à la seconde partie du recueil, que plusieurs tiennent la plus belle. Ce qui nous importe c’est qu’elle poursuit, par la volonté du poète, la grande histoire de son âme. Le lecteur verra se développer un plan que Pétrarque prolongera et complétera encore dans ses Triomphes. L’Amour triomphe, puis la Pudeur, puis la Mort. Et l’on va voir que la Mort fait triompher l’Amour, en le sanctifiant. Ces nouvelles pensées s’expriment en une poésie toute pareille, aussi riche que jamais d’images, de couleur et de vie.

On suppose bien cependant que ces dernières phases de l’histoire doivent différer des premières. Elles n’ont plus le même imprévu. Il y a bien moins de vers de circonstance ! Maintenant la circonstance est toujours la même. Le poète sait mieux où il veut aller. Mais son art est tel, que la différence se sent peu. i\ous nous retrouvons à chaque pas, dans la seconde partie, sous l’impression des images de la première.