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grande crise se présente à Pétrarque vers le « milieu du chemin de la vie. » Il en a donné, suivant son usage, une image allégorique : c’est le pèlerinage de la vie, le pèlerinage d’amour au travers de la forêt du monde.


Parce que d’Amour elle portait l’enseigne,
une pèlerine avait touché mon cœur vain, —
et toute autre, d’honneur me paraissait moins digne.
Et comme, par l’herbe verte, je la suivais,
j’entendis une voix dire d’en haut, au loin :
« Hélas ! combien de pas tu perds, par la forêt ! »
Lors, je me retirai à l’ombre d’un beau hêtre, —
Tout pensif. Et, regardant alentour,
je vis que mon voyage était très périlleux.
Et je m’en retournai, vers le milieu du jour.


S’il s’en retourna, comme il le dit ; s’il prit un grand parti, et un parti définitif, malgré quelques incertitudes et quelques reculs, ce ne fut pas sans de longues et douloureuses luttes. Un voyage qu’il fit à Rome, et, suivant son expression, « l’aspect sacré » de la Ville éternelle l’ébranlèrent profondément. Une bataille se livra dans son cœur entre le désir du salut et celui de l’amour :


Lequel l’emportera ? Je ne sais, — jusqu’ici
ils se sont combattus : et non pas une fois !


En ces heures-là, il lui arrive de rencontrer un ami, qui se trouve dans un état d’âme semblable au sien. Il lui donne de sages conseils de pénitence ; mais tout à coup, il s’arrête dans son discours, se rappelant, hélas ! où il en est lui-même :


On pourra bien me dire : « Ah ! frère, tu t’en vas,
« montrant aux gens une route, où souvent
« lu les perdu toi-même, — et l’es plus que jamais ! »


Tout près de lui, cependant, un grand coup fut frappé. Son frère Gherardo, compagnon longtemps de sa vie frivole, avait été enveloppé comme lui dans l’amour et la louange d’une dame. Cette dame, belle et pure, et, comme Laure, follement aimée, vint à mourir.


La belle dame que tu as tant aimée
soudainement s’est de nous départie,
et, — pour tant que j’espère, — elle est au ciel montée.