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Il arrive qu’il juge mieux son mal, et non content de s’interroger en vain, il s’adresse des reproches amers.


Volonté m’éperonne, Amour me guide et me dirige,
Plaisir m’attire, Habitude m’emporte,
Espérance me flatte ; elle me réconforte ;
elle tend sa main droite à mon cœur déjà las.
Le malheureux la prend, et ne s’aperçoit pas
qu’une escorte nous suit, aveugle et déloyale :
les sens sont rois, et la raison est morte ;
d’un désir vagabond un autre désir naît !


C’est un grand désarroi moral. Le poète se sent loin de tout ce qui avait fait sa jeunesse pure, calme, heureuse. L’oubli fatal a tout effacé. Sous l’illusion du rêve de beauté divine et angélique, de céleste idéal, l’amour l’a brûlé de désirs, a détruit sa vie, et risque de perdre son salut. Prenant une fois de plus, pour représenter son âme oublieuse et désemparée, l’allégorie du bateau sur la mer, où l’Amour tient le gouvernail, il la développe en noirs et magnifiques symboles, et écrit un sonnet tout romantique, un des plus beaux que l’on connaisse :


Il passe, mon navire, tout chargé d’oubli,
par âpre mer, à minuit, en hiver,
entre Scylla et Charybde. — À la barre
est assis mon seigneur, — non pas, — mon ennemi !
À chaque rame, un penser prompt, mauvais,
qui semble se railler de tempête et malheur.
La voile craque, sous un vent humide, éternel,
de soupirs, d’espoirs, de désirs.
Pluie de larmes, nuées de colère
baignent et relâchent les agrès déjà las,
qui sont d’erreur avec ignorance tordus.
Ils sont cachés, les deux signaux accoutumés, si doux !
et morts, parmi les eaux, la raison, le savoir !…
Je commence à désespérer du port !


XII

À cette maladie de l’âme, un remède s’est dès longtemps présenté : la pénitence, et le retour à la loi de l’enfance. C’est la « conversion, » telle que l’ont entendue en d’autres temps, et notamment en notre XVIIe siècle, tant de ; hautes âmes. Cette