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qu’elle est une dame de la campagne. Il est arrivé au poète de s’étonner que le soleil du monde se fût levé dans un humble village. Un jour est venu où il s’est fait campagnard lui-même, et voisin de campagne de sa dame. A partir de 1337, et pendant dix ans, il passe à Vaucluse le meilleur de son temps.

Que dire de Vaucluse, de la fontaine aux eaux profondes, d’où naît toute formée une rivière, du grand rocher qui clôt le vallon, des jardins, des lauriers, de la demeure agreste ? Qui ne connaît ces lieux, jadis sans pareils, et que l’industrie moderne n’a pas tout à fait défigurés ?

Pour qui veut aimer le poète Pétrarque, c’est là qu’il faut toujours revenir. C’est là que prend racine la plus forte pousse de son lyrisme. Avant lui, la fontaine était renommée comme une merveille de la nature. Il y a ajouté ce sceau divin que les mythes antiques donnaient aux lieux aimés des Muses. Il a fait d’elle une Castalie ou une Aréthuse, comme les solitudes qu’il a choisies sont devenues ses Hélicons.

C’est près de la fontaine qu’il devient poète de la nature, ce qui est un de ses mérites les plus rares. Si je dis « poète de la nature, » ce n’est pas parce qu’il a su jouir, comme tant d’autres avant lui, des champs, des bois, des ruisseaux, des montagnes ; mais parce qu’il a mêlé le sentiment de la nature au drame intime de l’âme, il y a pris l’expression même de la joie et de la douleur. En cela il devançait notre lyrisme moderne, qui a fait sans cesse, suivant le mot d’Amiel, de la nature « un état de l’âme. » Pétrarque fut-il le premier dans cette voie ? C’est beaucoup dire. On n’est jamais le premier. Mais assurément bien peu l’avaient devancé, et bien peu l’ont dépassé depuis.

C’est à Vaucluse que Pétrarque a confondu son amour avec la nature. Sa dame est l’astre, la lumière et l’ombre, un arbre symbolique, un zéphir, la voix du rossignol, un résumé de toute beauté. Quand elle est loin de lui, il l’imagine présente, et la voit transparaître dans toutes les formes inanimées, qui pour lui s’animent.

Madame Laure est venue en personne à Vaucluse. Cela n’est pas douteux. Toute une lumineuse chanson y célèbre sa venue, celle qui commence par ces jolis mots :


Claires, fraîches et douces eaux !