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Une autre scène, celle des deux roses, est plus délicate encore, et a quelque mystère. On voudrait savoir quel est le vieillard de légende, qui sut montrer par un geste si paternel, et de si chaudes paroles, aux deux fameux amants qu’il savait leur secret.


Deux roses fraîches, et cueillies en Paradis,
l’autre hier, quand naissait le premier jour de mai !
Un beau présent ! — et dont un amant vieux et sage
à deux amants plus jeunes fit un égal partage,
avec des mots très doux, et avec un sourire
à faire énamourer un homme des forêts !
— et puis, par un rayon d’amour, étincelant,
à tous les deux, il fit changer visage : —
« Le soleil ne voit pas telle paire d’amants ! » —
disait-il, soupirant et riant tout ensemble ;
et, les tenant tous deux, tournait de l’un à l’autre,
et leur distribuait ses roses et ses paroles.
Mon cœur las resta plein d’allégresse et de crainte.
heureuse éloquence ! joyeuse journée !


Une autre fois Avignon vit un plus rare spectacle. La cour était réunie en un jour solennel pour la venue d’un très grand personnage, l’Empereur, dit-on. Autour d’un trône se pressaient toutes les grandes dames de la ville. Et Pétrarque vit, non sans joie ni sans envie, une main souveraine qui les écartait toutes, pour faire signe à la plus belle. Laure s’approcha alors et reçut, d’une faveur royale trois baisers sur le front et les yeux. L’histoire est belle ; mais le poème qui la perpétue n’égale pas celui du vieillard aux deux roses.


IX

Si la vie sociale a fourni à Pétrarque des tableaux pour y faire paraître sa dame de beauté, plus encore lui en donne la nature, l’admirable campagne du Comtat, qui s’élève par degrés, de la plaine fertile vers les escarpements des Alpes. « Fleurs, feuilles, herbes, ombres, grottes, eaux, vents suaves, vallées closes, hautes collines, coteaux ensoleillés ! »

Quelles peintures il en a faites ! C’est parmi ces campagnes, nous l’avons déjà vu, que Laure passa devant ses yeux le plus souvent et dans les attitudes les plus familières. Nous savons