Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

homme, lorsqu’ils le disaient honnête homme. Mais je pense que le terme s’étend bien plus loin dans l’italien du bon siècle de la langue. Il s’applique à tout l’être humain, son langage, son geste, et jusqu’aux détails de la tenue. La robe de Béatrice était d’un « rouge honnête. »

Honnête ! Cet éloge comprend des qualités si diverses qu’elles sembleraient aisément contradictoires. Une Laure, honnête entre toutes, était, nous dit-on, à la fois humble et altière, humble pour se faire aimer, altière pour se garder. Ce sont des couleurs de merveilleuse finesse. Outre humbles et altières, ces gentilles, courtoises, honnêtes dames, pouvaient encore être » lasses, » — oui, « honnêtement lasses. » C’est encore une attitude de suprême distinction, un certain abandon, — « langoureuses, » eût-on dit en d’autres temps.

Un mot encore nous pose une continuelle énigme. C’est cette épithète Leggiadro et les mots qui en viennent. Leggiadria n’est pas beauté : c’est autre chose. Pour Dante, les anges, créatures parfaites ont, outre la beauté, cet autre mérite qui complète la beauté. Qu’est-ce donc ? Qualité extérieure, car je la vois attribuer aux robes et aux bijoux. Mais elle s’applique aussi fort bien à une pensée très noble, à une action très vaillante. Leggiadro ne veut donc dire ni charmant, ni gracieux, ni élégant. Notre parler populaire dirait peut-être : joli, et l’appliquerait à une femme, à une parure, et aussi à une pensée et à un haut fait. Mais on ne pourrait pourtant pas l’appliquer aux anges !

Je répète : que faire ? Quand on le rencontre, s’en tirer comme on peut, mais ne jamais en perdre de vue la valeur. Les Toscans eux-mêmes, un peu après le grand siècle, devaient se mettre en peine pour l’expliquer. Le dictionnaire de la Crusca cite, d’un Toscan du XVIe siècle [1], ces lignes, que Pétrarque sans doute n’eût pas refusé d’appliquer à Madame Laure :


Leggiadria, — c’est l’observance d’une loi secrète, que la nature a décrétée à votre intention, — ô dames ! — afin de faire que vous puissiez mouvoir, porter, employer, aussi bien votre personne tout entière que chacun de vos membres en particulier, avec grâce, avec décence, avec noblesse, avec élégance, avec mesure,

  1. Agnolo Firenzuola.