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ont tenu bon. Les couleurs de Pétrarque étaient bonnes aussi, et, comme celles du peintre, elles ont tenu bon. C’étaient ses mots. Pourtant nous ne sommes pas sans quelque scrupule. Ces mots, les connaissons-nous bien ? Savons-nous mesurer justement la valeur qu’il leur attribuait ? Voilà ce que l’on se demande à chaque pas.

Le vocabulaire des louanges féminines de Pétrarque est si multiple et si nuancé ! Quelques-uns de ses mots me tourmentent, je l’avoue. Ce ne sont pas, dirai-je, les tons simples ; ce ne sont pas ces adjectifs tout semblables aux nôtres, comme « doux, suave, » qui reviennent constamment et, pour tout dire, avec un peu de surabondance. Il y en a d’autres, bien plus raffinés, pour lesquels, ou bien nous n’avons pas les pareils en français, ou bien les pareils, ce qui est pire, se sont chez nous avilis.

J’en dois dire quelque chose au lecteur qui veut bien me suivre. Pour certains de ces mots, je prends mon parti, et le lecteur aussi, je pense ; je garde le sens sublime et un peu suranné. Le beau mot « gentil » continue à évoquer pour nous un fier sens de noblesse. Tout le monde nous entend lorsque nous célébrons le « gentil sang latin ! »

Mais que dire de « courtois ? » Ce mot exprimait la plus parfaite image de bonté et de générosité, car il arrivait que Dieu lui-même fût dit, par excellence, le « Seigneur courtois. » Et de ce sommet, nous sommes tombés à la banalité de la civilité puérile et honnête ! Que faire ?

Il y a plus embarrassant, Voyez un peu ce qu’est devenu ce mot latin vagus, qui nous a donné l’adjectif « vague ! » Il n’a pas perdu pour les Italiens ce sens qu’il a pour nous : incertain, douteux, fugitif. Mais que d’autres choses il signiiie ! Vngo veut dire encore « désireux ; » — est-ce parce que le désir, peut-être, est comme une nuée qui passe ? Soit. Mais, ce qui est plus étrange, il veut dire encore « beau, » ou plutôt « charmant : » est-ce donc peut-être encore parce que la beauté et surtout le charme sont choses indéfinies, et qui restent enveloppées d’une délicieuse incertitude ? Peut-être !

L’analyse de ces mots est pleine de révélation. Mais on ne peut pas les rendre en français sans alourdir un peu.

Que dirons-nous du mot « honnête ? » Chacun sait bien qu’en bon français, il n’est pas limité à signifier la simple probité ; l’on n’ignore pas quel éloge complet nos pères faisaient d’un