Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se prolonge en méditations profondes, drame d’amour, de douleur, de repentir.

Repentir, c’est presque le premier mot que l’on rencontre sur la première page. Comme préface à tout son recueil, le poète, déjà vieux, a écrit pour les lecteurs un sonnet liminaire, où il a mis toute la tristesse d’un amer regret. Il se frappe la poitrine, en songeant à la vanité de sa vie. Il a « honte de lui-même. » Cette honte, et le remords qui l’accompagne, tel est le « fruit » des « vanités » de sa jeunesse. Il s’est aperçu, trop tard, que « ce qui plait au monde n’est qu’un songe rapide. »


VI

Et maintenant, il va nous faire voir quelles sont ces vanités, et « ce qui plait au monde. » Nous sommes à Avignon, en 1327, dans une société recherchée, un peu frivole. La poésie des cours y est de mode ; on versifie pour des dames élégantes. Pour une d’elles, la plus belle, la plus vertueuse, l’encens poétique est brûlé par un jeune Toscan de vingt-trois ans, dont les vers, dès l’abord, ont conquis tous les suffrages.

Il va nous raconter d’abord comment Amour l’a pris. Ce sont quelques pièces d’un art précieux, avec gestes conformes aux rites d’amour, et élégantes allégories. Il s’est énamouré par coup de foudre, comme le voulait l’usage, et cela à la porte d’une église, et pendant les jours de pénitence de la Semaine sainte. L’amoureux a été blessé par surprise, alors qu’il était sans méfiance. C’était une revanche de l’archer Amour, dont les traits jusqu’alors n’avaient pu pénétrer son cœur.


Pour se faire une jolie vengeance
et punir bien, en un jour, mille offenses,
en cachette, Amour reprit l’arc.


Dans cette jolie scène symbolique, c’est Cupidon qui surprend l’amoureux. Dans une autre, c’est la Dame elle-même, et non par force, mais par ruse. Elle descend du ciel, comme une angelette, et pose le pied tout justement dans une prairie diaprée, où le poète marche innocemment. Elle tend dans l’herbe un rets, sans qu’il s’en avise. Il est pris, sans défense. Mais voilà que dans son cœur, la joie d’aimer et l’orgueil de la beauté de sa Dame surpassent la peur et l’angoisse.