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les prêtres peuvent s’écrier comme Joad :


Et quel temps fut jamais si fertile en miracles ?


De cette chaude haleine enveloppant le monde, fiévreuse, joyeuse, glorieuse, mystérieuse, surnaturelle, l’Alsace-Lorraine avait sa part, et ceux d’entre nous .qui, au milieu des fêtes de Metz et de Strasbourg, apprenaient par tel journal, tombé par hasard entre leurs mains, tels faits exaltants que je disais tout à l’heure. Mais, par surcroit ce peuple passé de l’extrême de la servitude à l’extrême de la liberté, de la douleur à la joie, et, je l’ai montré, des plus sombres perspectives aux plus lumineuses espérances, avait, dans le délirant concert des nations, une place privilégiée.

Tandis que les circonstances les avaient miraculeusement, et contre toute attente, sauvés de l’horreur des combats et de la dévastation prévue, les Français, abattant le drapeau à aigle noir un jour, faisant rentrer sous terre le drapeau rouge un autre, les avaient tout à la fois, nous l’avons vu, libérés de la tyrannie et sauves de l’anarchie : en quelques jours, dix périls accumulés sur leur tête s’étaient évanouis. La liberté leur apparaissait d’autant plus belle que, depuis quatre ans, la servitude avait été plus complète : on leur rendait la langue que, dans une heure de folle tyrannie, l’Allemand leur avait coupée ; mais on leur rendait surtout la franchise du cœur, forcé, quatre ans et, pour beaucoup, quarante ans durant, de « se masquer. » ils avaient eu l’immense satisfaction de voir se dissoudre une force que, à leurs dépens, ils avaient connue redoutable et crue à toute épreuve, et ils avaient, en revanche, l’autre satisfaction de retrouver dans ces Français qui leur apportaient tant de bienfaits, des frères non point du tout « dégénérés, » ainsi qu’on le leur avait dit : tout au contraire, les voyaient-ils superbes de discipline aisée et pleins de sentiments élevés, unissant à la « gentillesse » de la race et à son esprit prime-sautier une belle tenue et, dans le plus éclatant des triomphes, une humanité souriante et sans jactance ; ces « impies » remplissaient les églises, ces « corrupteurs » dansaient d’honnêtes rondes, ces « anarchistes » respectaient l’autorité, ces gens « immoraux » s’asseyaient avec joie à d’honnêtes foyers et se louaient d’y retrouver le leur.

Je n’écris point ici d’après des impressions personnelles qui.