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aux grandes espérances, des cruels revers aux éclatants succès, que tous en restaient saisis, avant que, par surcroît, le peuple allemand vînt demander l’aman et capituler à nos pieds. Que soudain, sans plus de combats, il eût tout cédé et, en quelques jours, presque en quelques heures, passé des plus monstrueuses prétentions aux plus mortifiantes concessions, on en était frappé comme d’une chose quasi surnaturelle. L’Europe tout entière croyait rêver.

Le rêve était d’or : la paix succédait à la guerre. Pour tous, du 11 novembre à 11 heures, un cauchemar effroyable s’évanouissait. L’explosion de joie délirante des peuples avait permis de mesurer la profondeur de la géhenne où tous se débattaient et, le cauchemar s’évanouissant, tous les rêves heureux prenaient leur essor ; une atmosphère étrange s’était créée de ce fait, où les cœurs se dilataient, où s’exaltaient les imaginations, et, parce que dix peuples chrétiens avaient besogné dans la même croisade, il passait par surcroît à travers les âmes un vent de fraternité allègre et généreuse. C’était une heure unique.

Ce qui suivait était propre à surexciter, bien ailleurs qu’en Alsace-Lorraine, imaginations et cœurs. Tous les jours, du 11 novembre au 11 décembre, on recevait des nouvelles dont une seule eût, en d’autres temps, suffi à révolutionner l’Europe. Un jour, les Alliés débarquent à Constantinople ; un autre jour, la Pologne se proclame libre et unie ; un autre, le vieil empire serbe, ressuscite ; un autre, la Syrie franque. En une heure solennelle, la Hotte allemande est entrée tout entière dans la Tamise pour se livrer à Albion ; en une autre, le général Dégoutte fait présenter les armes et s’incliner les drapeaux de la République devant le tombeau de Charlemagne. L’Angleterre va entrer à Cologne, la France rentrer à Mayence. Tout ressuscite : des morts millénaires, des peuples scellés depuis des siècles dans leur tombeau. Les trônes croulent, les révolutions éclatent : c’est un fracas étrange au milieu duquel tous « les morts parlent » et même clament. — Et, par cela aussi, l’air s’imprègne de fièvre joyeuse, sans cesse traversé de miraculeux éclairs. Le mysticisme est permis aux plus sceptiques, et en réponse aux Abner qui partout, naguère, s’en allaient, disant :


L’Arche sainte est muette et ne rend plus d’oracles !