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grâce très noble les délégations ; les exilés lui furent présentés, les condamnés, les déportés, à peine de retour, — entre autres une toute jeune fille. « Qu’avez-vous subi, mademoiselle ? — Trois mois de prison pour avoir envoyé des baisers à des chasseurs alpins prisonniers. » Et elle reprend, joyeuse, légère, sa place dans la farandole. Ce fut une de ces heures merveilleuses d’Alsace.

C’était tout de même chose un peu vive, ce bal improvisé dans les jardins de la préfecture, — et dont le Protocole restait soucieux. Mais quoi ? il faut que jeunesse s’amuse et, là plus encore qu’ailleurs, elle ne s’amuse qu’en dansant. Aussi, le vin d’honneur ayant été servi, à la nuit tombante, dans cette salle des Catherinettes, que nous autres conférenciers d’avant la guerre connaissions bien, les jambes, derechef, démangeaient-elles à ces jeunes filles à jupes rouges ou vertes et sentait-on frémir les ailes à tous ces papillons. Mais peut-être avait-on un peu grondé au sujet de la joyeuse équipée des jardins de M. de Puttkammer, et puis les grands deuils du chef... bref, les papillons hésitaient. Alors le général de Castelnau qui, les mains gantées de blanc, croisées sur la garde du sabre, avait encore écouté des compliments et en avait formulés avec ce bel air d’autorité sans morgue qui en impose plus que de grandes bottes et de grands éperons, se sentit redevenir père et même grand père : « Eh ! bien, dit-il, avec cet accent où le Midi met une bonhomie de plus, eh ! bien, maintenant, il faut danser. »

Si l’on dansa de bon cœur après une invitation partie de si haut, je le donne à penser ! On dansa, on dansa, on dansa éperdument. Et, tandis que l’on dansait aux Catherinettes, Colmar, magnifiquement illuminé, comme il était magnifiquement pavoisé, se livrait aux joies folles de son cœur. Dans tous les quartiers, l’allégresse se déchaînait. J’ai revu, depuis, ces places exquises, ces rues étroites de la vieille ville, de même pavoisées, de même illuminées : on en distinguait les moindres détails charmants baignés de cette lumière de fête ; les vieilles pierres des arcades, des escaliers, des balcons, des pignons, des cloîtres, des fontaines, des hautes portes, contemporaines de Martin Schongauer ou de Mathias Grünewald, oui, toutes les vieilles pierres nous criaient la joie de la libération. Tous cas quartiers s’éclairaient des trois couleurs