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Barrès, témoin de la scène, mais gravement, avec déférence, chaque chef de section, chaque chef de peloton, geste pathétique, hommage trop vrai après ces cinq ans. » Et avec quelle dignité aisée, la revue passée, le général prit, du geste, congé des personnalités colmariennes groupées sur le perron et aux fenêtres du théâtre !

Mais il n’a pas fini : Rapp attend les glorieux frères d’armes. Le héros de Golymin (les neuf blessures de Rapp à Golymin sont restées légendaires) qui, aux heures où tout craquait, fut aussi le héros de Dantzig, l’ancien aide de camp si fidèle de Napoléon, brandit au centre de la cité le damas rapporté d’Égypte. De quels faisceaux de drapeaux tricolores il émerge ! Castelnau s’avance au milieu des acclamations ; la Marseillaise l’accueille ; clairons et tambours sonnent et battent aux champs ; un immense cri de Vive la France ! éclate ; dans le geste tout à la fois ferme et pieux, large et grave du héros du Grand Couronné tient l’hommage de la France revenue au défenseur de Dantzig.

À la préfecture, le général parla magnifiquement ; le grand chef, qui fut un jeune soldat de 1870, salua dans les vétérans d’anciens compagnons d’épreuve et de danger ; il salua encore dans les Colmariens d’admirables lutteurs qui, pendant quarante-huit ans, avaient tenu sur leur champ de bataille ; il rappela aussi les derniers combats : « Nos fils, dit-il aux vétérans, nos fils ont définitivement arraché de notre histoire les feuilles de tristesse. Applaudissez-les, chers compagnons d’armes. Ils nous ont magnifiquement vengés. » Les larmes affluaient aux yeux. Et lorsque, traversant les salons, de cet air simple où tient tant de grandeur, affable, souriant, le général avançait dans cette atmosphère de respect presque tendre que certes jamais chef allemand n’a connue, une scène charmante se déroulait dans les jardins. Je laisse derechef Maurice Barrès la raconter : « Dans le jardin de la préfecture… cela éclata soudain. Les musiques jouaient la Madelon. Les jeunes filles de Colmar, les plus petites, bientôt toutes les grandes, commencèrent à former des rondes, invitèrent les jeunes officiers et valsèrent sur le tennis de M. de Puttkammer et puis, élargissant le cercle, entourèrent d’une immense farandole les bâtiments qui, hier encore, logeaient le haut représentant impérial en fuite. » Castelnau, cependant, continuait à recevoir avec une