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Strasbourg acheva de se mettre dans les bras de la France.

Lorsque, le 23 octobre 1643, Condé s’était présenté à ce même hôtel de ville, « Messieurs de Strasbourg lui ayant fait la révérence, » lui présentèrent « un char de vin, un d’avoine et l’un des plus beaux poissons qu’on eût pu rencontrer. » M. Peirottes, maire socialiste de Strasbourg, ne reçut point le vainqueur de Vouziers avec la même pompe que « le Magistrat » de Strasbourg avait mis à saluer le vainqueur de Rocroy. Mais, ayant fort bien harangué le général et le Haut Commissaire, il nous offrit sinon un char de vin, du moins d’excellent vin du cru et sinon le plus beau poisson du Rhin, du moins d’excellentes tranches de jambon. Mais le plus beau de ce petit banquet fut servi par la foule qui, sur le Broglie, se déchaînait derechef. Le général ayant paru au balcon et des cris s’étant élevés de « Vive Gouraud ! » celui-ci cria : La Marseillaise ! Alors trente mille voix entonnèrent l’hymne : le refrain en remplissait l’air, les ondes allaient frapper à l’autre extrémité des cours, les murs de la maison du maire Dietrich où, un soir de 1792, le capitaine Rouget de Liste, se levant soudain, avait, l’œil en flamme, entonné « Aux armes, citoyens, formez vos bataillons ! »

La soirée fut proprement enivrante. Les soldats maintenant Lâchés fraternisaient, mais avec la même décence qu’à Metz, avec les Alsaciennes : des cortèges se formaient, grossissaient, se déformaient en joyeuses rondes, se reformaient en joyeuses bandes, passaient, repassaient. Vers dix heures, on dansait partout : « Nous n’irons plus au bois, les lauriers sont coupés. » Et le fait est qu’ils étaient coupés, et quels lauriers ! Et si, pris soudain dans le remous, on entendait chanter « Belle, entrez dans la danse, » on y entrait de bonne grâce, si tant est qu’on vous laissât licence de n’y point prendre place.


La fête ne pouvait finir en quelques heures. Strasbourg, qui s’était endormi dans la joie, se réveilla dans la joie. Et il en devait être ainsi tous les matins. Aussi bien, puisque l’on annonçait pour le 24 la visite du maréchal Pétain et une entrée plus solennelle encore, à quoi bon reprendre haleine ? On s’allait, trois jours, amuser princièrement. Strasbourg était comme toute ville « allemande » sous le régime des restrictions