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Le général en chef voyait que s’enfermer dans Paris, c’était courir à un Metz ou à un Sedan ; mais, surtout, il savait que, même sans s’attacher à cette solution, — la plus déplorable de toutes, — s’abriter derrière le camp retranché de Paris, c’était renoncer à la réunion de ses moyens, c’était couper en deux sa grande armée et laisser au hasard d’une retraite périlleuse toutes ses forces de l’Est. Se mettre à l’abri de Paris, c’était découvrir Dijon, Nevers, le Creusot, Lyon, c’est-à-dire la France de la métallurgie et des ports, la puissante masse du sol national, seule capable de tenir une guerre de longue haleine contre un ennemi qu’il ne pouvait être question d’abattre en une fois.

En un mot, comme tout le prouve, la préoccupation de l’Est reste la pensée maîtresse ; Joffre conçoit la grande bataille, la bataille des masses dans toute son ampleur. Ce n’est pas seulement avec Verdun, c’est avec Nancy, avec les Vosges qu’il entend garder ses liaisons.

Il se décide donc pour le parti le plus fort, mais qui, en cas d’insuccès, l’accablera des responsabilités les plus lourdes. On blâmait la retraite ordonnée, le cas échéant, jusqu’à Nogent-sur-Seine et Joinville ; on s’écriait ironiquement : « Pourquoi pas jusqu’à Rivesaltes ?… » Et c’est cet éloignement momentané qui allait ramener, au bout de quelques heures, l’armée de Joffre devant Paris libéré, avec la décision de la guerre obtenue par la victoire de la Marne !

Une note personnelle, adressée par le général Joffre au ministre de la Guerre, M. Millerand, sous la date du 3 septembre, récapitule l’ensemble des motifs qui ont agi sur l’esprit du chef dans les journées tragiques où il eut à prendre ce parti. Le général expose, d’abord, au gouvernement, les raisons pour lesquelles il n’a pas cru devoir engager, à la date du 2 septembre, la bataille prévue par l’Instruction générale du 25 août (c’est-à-dire la bataille en avant de Paris), puis il annonce la très prochaine reprise de l’offensive (c’est-à-dire la bataille latérale à Paris) ; on voit ainsi se dégager la suite logique des idées, filles des nécessités :


« Le général en chef avait espéré combattre la large manœuvre d’enveloppement exécutée par la droite de l’armée allemande contre l’armée Lanrezac, en lui opposant « une puissante concentration de forces dans la région d’Amiens » (armée Maunoury et groupement d’Amade) et avec l’aide de l’armée anglaise.