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meilleurs artistes y trouveront l’emploi de leur talent. Et n’est-il pas souhaitable qu’ils nous apparaissent sous de nobles traits plutôt que d’incarner, comme c’était devenu l’habitude avant la guerre, des forbans, des escrocs, des maniaques ou de vulgaires goujats ? Jamais, au grand jamais, nous n’avons demandé que le théâtre s’engageât dans le genre moralisateur, qui est essentiellement le genre ennuyeux. Mais nous sommes persuadés que le théâtre doit donner à l’admirable France de la guerre, au lendemain de cette guerre, une image d’elle-même plus ressemblante. L’idée est dans l’air, le courant se précise et se renforce. La pièce de M. Sacha Guitry nous apporte en ce sens une indication précieuse, dont je me réjouis.


Entre divers souhaits que nous formons pour ce théâtre de demain, l’un des plus vifs est qu’il possède ce qui a fait si cruellement défaut au théâtre et aussi au roman d’hier : l’imagination, l’invention romanesque, la fantaisie. Le public n’en a jamais été plus avide. La preuve en est au brillant succès avec lequel la Comédie -Française vient de représenter Un acte en vers de M. André Rivoire : Le Sourire du faune. Un vieux mur croulant, de jeunes roses, de l’amour et encore de l’amour, des costumes d’autrefois, un décor irréel, un voyage où il vous plaira, l’agréable cadence du vers, un souffle léger de lyrisme, et voilà ravis tous nos Athéniens !

Donc la scène représente un parc « fermé par un haut mur aux regards curieux. » Un vieil original a eu l’idée baroque d’enfermer là deux enfants, Rose et Pascal, comme deux oiseaux dans une volière. Dans cette prison verdoyante et fleurie, il les élève, si l’on peut dire, en liberté. Il faut savoir que ce marquis est un disciple de Rousseau, qu’il a appris de son maître à détester les hommes, et que la Révolution survenant pour brocher sur le tout n’a pas eu pour effet de le réconcilier avec eux. La nature est bonne et la société est mauvaise, et donc, soucieux de préserver ces deux innocents, il les tient rigoureusement à l’écart, dans une ignorance soigneusement cultivée, et les confie à la seule nature. C’est la nature, en effet, qui opère en eux, comme elle a coutume de faire depuis que le monde est monde et que la nature est la nature. Vous ai-je dit que Rose à l’âge de Juliette et Pascal de Roméo ? Une inquiétude travaille ces jeunesses prêtes à s’épanouir, et ce que Rose nous en confie ne nous laisse aucun doute :


C’est depuis ce printemps...
Mon corps est plus léger dans l’herbe où je m’étends,
Et plus lourd à la fois... Je ne peux pas te dire...