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de renoncer à son œuvre même de savant, lui avaient apporté un résultat qui était un fait d’expérience, cela lui était intolérable qu’on refusât de s’incliner devant l’expérience et devant le fait. Un tel aveuglement dont il avait peine à croire qu’il fût entièrement involontaire, l’irritait. Pour nous donner une idée de ces luttes soutenues par Pasteur contre les médecins, l’auteur de Pasteur, pièce, nous fait assister à une séance de l’Académie de médecine. C’est ici une de ces nombreuses « scènes dans la salle, » jadis réservées au cirque et au music-hall, dont use et abuse le théâtre de maintenant. Devant la toile baissée on a disposé une table recouverte d’un lapis vert. M. Guitry y prend place et tourné vers la salle qui est censée représenter l’Académie de médecine, il fait une conférence. Cependant du balcon partent des interjections. A l’orchestre un spectateur se lève et interrompt : c’est un compère. Son interruption est une ânerie, bien entendu, comme il arrive, en tout lieu et en toute occasion, chaque fois que l’avocat du diable ouvre la bouche : on sait combien le diable choisit mal ses avocats. Cela fournit à Pasteur l’occasion d’une réplique victorieuse : il réduit l’adversaire au silence : il l’assoit. C’est, à mon sens, de toute la pièce l’endroit le plus scabreux. Car ce n’est commode, en aucun cas, de faire parler Pasteur ; mais le faire parler expressément de science, lui faire exposer les principes qui le dirigent dans la recherche, voilà qui est terriblement délicat. Encore une fois, M. Sacha Guitry s’est rendu compte de la difficulté et il a apporté dans cette partie de sa tâche d’infinis scrupules. Il s’est efforcé d’employer les termes mêmes dont, en des circonstances analogues, Pasteur s’est réellement servi. Et pourtant... Je crains qu’il ne se soit heurté à une quasi-impossibilité, tellement le véritable langage scientifique est précis jusqu’à la minutie et nuancé à l’infini. Un mot changé, oublié, transposé, ruine toute une démonstration. Il nous semblait, à nous autres ignorants, que cela n’avait pas d’importance ; et tout est compromis ! Et puis la conviction du savant n’est pas la même que celle de l’orateur politique ou du sermonnaire. Sa façon d’affirmer, son geste comme le son de sa voix, lui est particulier... Ici encore il y a contradiction avec les exigences du théâtre qui n’admet rien que de net, de ramassé, de frappant. Ce Pasteur formulant d’un ton rogue les théories pasteuriennes, nous a fait quelquefois l’effet d’un maître d’école traduisant en formules purement verbales, et pour ainsi dire mnémotechniques, des théories dont le sens lui échappe.

Après cette séance orageuse, le président de l’Académie remet à