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Revenons au régime imposé aux « travailleurs volontaires. » « Vers midi, on nous donnait une gamelle d’orge[1] et, le soir, du jus noir, comme le matin, avec un tiers de pain d’Allemand qui ne pèse pas trois livres. » Jamais de viande. Les enfants souffrent atrocement de la faim. Ils dépérissent. La vie se retire d’eux. Ils usent leurs forces à un labeur excessif qui n’est pas de leur âge et nourris juste assez pour mourir lentement : « Nous étions tous ravagés par la dysenterie. Tous les jours, il en tombait. Une fois, sur le bord d’un talus, nous avons aperçu un lapin crevé. Il était là, depuis plusieurs jours ; il y avait de grosses mouches dessus et il sentait. Nous nous sommes jetés dessus et ça a commencé une dispute ; on s’arrachait les morceaux. Nous les avons dévorés tout crus, tels quels, mais la viande était gâtée ; tous, nous avons été encore plus malades. »

En épuisant ainsi ces enfants, le but des Allemands n’était-il pas de les mettre plus tard dans l’impossibilité de devenir des soldats ? Une Lilloise, Mlle G…, raconte qu’un jour, comme elle disait à l’officier qu’elle logeait :

— C’est abominable, ce que vous faites ; vous vous en prenez aux femmes et aux enfants.

Celui-ci lui répondit :

— Évidemment, puisque nous voulons l’extermination de la race.

Comment dépeindre le désespoir des mères à qui l’on avait enlevé leur enfant et qui le savaient continuellement exposé aux dangers des bombardements et aux souffrances de la faim ! On m’a cité le cas d’une Lilloise. Elle appartenait à la haute bourgeoisie. Son fils lui avait été enlevé, comme « travailleur volontaire. » Pour le ravitailler, elle s’habilla en femme du peuple : tablier de cotonnade et fichu sur la tête. Chargée d’un grand panier dans lequel elle avait entassé des vivres, à plusieurs reprises, elle parvint à sortir de la ville et, risquant sa vie, chaque fois, à joindre son fils. Le travail des enfants ne cessait qu’au coucher du soleil, quand le ciel devenait sombre : « Alors, on nous ramenait à l’arrière ; il fallait refaire le chemin fait le matin ; mais il est arrivé aussi que nous couchions près des

  1. « À Guise, atteste le jeune Loiseau, l’unique soupe que nous avions était faite, non avec des rutabagas, mais avec des feuilles de rutabagas… Nous étions campés dans une ancienne salle de théâtre pour le peuple… Nous y sommes restés, couchant par terre durant des mois, et sans couvertures. Quand on a fini par nous en donner, c’étaient des couvertures faites avec du papier. »