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tant ils montrent de fermeté. Ces petits qui, à peine, entrent dans l’adolescence, ont un courage, une énergie dignes de leurs aînés. Les voilà au long des routes. Des soldats les encadrent, lourds gaillards que leur vaste manteau fait paraître plus amples. Sur la terre, le soleil projette l’ombre sinistre des baïonnettes et des fusils. Les enfants ‘ont leur petit bagage sur l’épaule. Ils le portent sans broncher. Ils passent à travers les villages. Comme ils sont jeunes I Est-il possible qu’on les emmène ?

« Ils faisaient pitié, dit un témoin, anémiés pour la plupart, car, depuis l’occupation, pas un jour, ils n’avaient mangé à leur faim... » Ils redressent la tête en voyant qu’on les regarde et, malgré les vociférations des Boches, malgré les coups, les bourrades, d’une seule voix ils entonnent la Marseillaise. Ainsi prouvent-ils qu’en dépit du brassard qu’on a attaché à la manche gauche de leur veste et qui porte les mots « travailleur volontaire, » ils sont de bons Français.

« Le premier jour, reprend Etienne H..., nous avons marché sans arrêt et nous étions bien fatigués. Quand nous sommes arrivés à Haubourdin, on nous a fait coucher par terre. Dès le lendemain, on nous a emmenés au travail. Habituellement, le réveil était à cinq heures, mais souvent il eut lieu à deux et trois heures, en pleine nuit. Nous allions boire le « jus, » on aurait mieux aimé de l’eau chaude, c’aurait été aussi nourrissant et ça n’aurait pas eu mauvais goût. L’endroit où l’on nous conduisait travailler était tout près des lignes. Il nous fallait marcher deux heures avant que d’y être. » Quand les pauvres petits arrivent, ils sont déjà exténués. Jamais un jour de repos, même le dimanche. Quel que soit le temps, ils marchent, ils travaillent, chargés de boue, si l’on est en hiver, couverts de poussière, de sueur, si l’on est en été. Les semelles de leurs chaussures s’usent. Les Boches, généreusement, leur octroient des sabots : « Lorsque nous changions de camp, ce qui arrivait en moyenne tous les quinze jours, on nous faisait faire jusqu’à quarante et même cinquante kilomètres avec notre bagage. Une fois, nous avons marché sous une pluie battante depuis le matin jusqu’à près de minuit. A tout instant, à cause de l’obscurité, on glissait, on tombait dans la boue avec tout son fourbi. Nous étions, trempés, harassés. Le lendemain matin, à trois heures, on nous faisait lever et partir au travail !... »