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chez lui, et l’on conçoit sans peine qu’elles l’aient, pour un temps, écarté de l’autel. Ce « noir dégoût de la vie » n’est évidemment pas très chrétien. Il a beau chercher à se faire « une âme vraiment résignée, » « s’efforcer d’acquérir cette résignation paisible et amoureuse dans son amertume même, » il n’y parvient guère.

Le plus grave est que « ces défaillances intérieures, ces angoisses, cette agonie de l’âme » obscurcissent pour lui le problème de sa destinée. « Cette pauvre âme, écrit-il, languit et s’épuise entre deux vocations incertaines qui l’attirent tour à tour. Il n’y a point de martyre comme celui-là. » N’allons point pourtant conclure à la légère, comme on l’a si souvent fait, que ces douloureuses hésitations, ces langueurs, ces alternatives d’abattement et d’espoir sont un signe de non vocation sacerdotale. « Epreuves » ou « tentations, » il semble bien tout d’abord que Lamennais ne soit pas le seul prêtre qui, dans ses années de noviciat, ait connu des troubles de ce genre[1]. D’autre part, si le propre d’une âme vraiment sacerdotale est d’être comme obsédée par le problème religieux, par le désir de travailler pour l’Eglise et de lui conquérir de nouvelles âmes, peu d’hommes ont, dès cette époque, mieux répondu à ce signalement que le futur auteur des Paroles d’un croyant. Il s’intéresse passionnément à toutes les œuvres de son frère, il poursuit activement ses études historiques ou théologiques, et souvent, dans les lettres mêmes où il se plaint le plus de ses misères morales, il réclame des livres destinés à compléter son éducation cléricale ; il commence enfin, en collaboration avec l’abbé Jean, un gros ouvrage sur la Tradition de l’Eglise sur l’institution des évêques. Et l’on est bien obligé de lui donner raison quand il écrit en 1811 à l’abbé Jean : « Un désir constant, qui semble résister à tous les obstacles et triompher des répugnances naturelles les plus vives, n’offre-t-il pas un caractère de vocation digne au moins d’être examiné ? »

Aux Cent-Jours, se croyant, à tort ou à raison, menacé par la police impériale pour le livre sur la Tradition, il s’enfuit en Angleterre, où il reste sept mois. C’est là qu’il rencontra

  1. Voyez à ce sujet les deux intéressants articles du P.. Dudon sur la Vocation ecclésiastique dans le Recrutement sacerdoral de janvier et mars 1912. J’aboutis, on le verra, à peu près aux mêmes conclusions que le P. Dudon.