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constituent le fonds doctrinal du déisme. Beaucoup d’inconséquences, j’imagine, dans tout cela, et, sous la pression des événements publics, à la vue de certaines scènes de la Terreur, quelques prises d’armes contre les « philosophes, » et même certains retours chrétiens passagers, bref, quelque chose comme l’état d’esprit troublé et contradictoire que Chateaubriand, vers la même époque, traduisait dans son curieux Essai sur les Révolutions. Et peu à peu, sous l’action sans doute croissante du futur abbé Juan, cette âme orageuse s’apaise : elle entrevoit et, au besoin même, elle défend la probabilité théorique du christianisme : cet état de « conviction rationnelle sans pratique, » c’est, probablement, l’indifférence religieuse qu’elle condamnera si éloquemment plus tard.

Les choses en étaient là quand parut le Génie du Christianisme. Nous sommes bien aises d’apprendre par M. Maréchal que Félicité le lut avec passion et l’annota dès le moment de son apparition ; mais le contraire nous eût bien surpris ; comment un livre de cette valeur, sur un pareil sujet, écrit par un compatriote, aurait-il pu passer inaperçu d’un esprit curieux, et qu’on devine très préoccupé alors de la question religieuse ? Est-ce Chateaubriand qui, par ses belles pages sur Pascal, inspira à son jeune lecteur le désir de lire, ou plutôt de relire le grand écrivain ? M. Maréchal n’en doute guère, et il est possible qu’il ait raison. En tout cas, c’est en 1802, — M. Duine nous l’affirme, pièces en mains, — que Lamennais se nourrit des Pensées et en fait des extraits. Et, — conséquence naturelle de ces lectures, ou simple développement logique d’une tendance particulière d’esprit, — M. Maréchal a retrouvé des articles inédits signés de lui, et datant de 1803 et de 1804, sur les Indulgences, sur la Réception de Parny, et où déjà l’impatient journaliste se transforme en apologiste

Et cependant, il n’est pas converti, il n’a pas la foi. Évidemment, il est ébranlé, mais il hésite sur le seuil du temple. D’où lui viendra l’impulsion définitive, la volonté ferme de mettre sa vie d’accord avec ses idées, et presque ses croyances, de suivre, en un mot, sur l’ « abêtissement » nécessaire, les mystiques conseils du pari de Pascal ? Selon toutes les vraisemblances, de son propre frère, l’abbé Jean, qui, ordonné prêtre au mois de mars 1804, ne pouvait avoir de cesse qu’il ne l’eût « regagné à Dieu : » au reste, le témoignage de l’abbé Brulé