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M. d’Haussonville. Ces trois ouvrages vont nous permettre, si je ne me trompe, de saisir et de fixer en quelque sorte l’auteur des Paroles d’un Croyant dans trois attitudes différentes, mais essentielles, de sa biographie morale.


II

Le livre de M. Maréchal pose une double question qui intéresse au plus haut degré la psychologie du grand écrivain : celle de sa conversion et celle de sa vocation. Essayons de serrer l’une et l’autre d’aussi près que nous le pourrons.

Un fait d’abord est sûr : le futur auteur de l’Essai sur l’indifférence a débuté par l’incrédulité, et il s’est converti, il a fait sa première communion à vingt-deux ans.

On a essayé d’atténuer, et même de nier le fait, sans succès selon moi. On oublie le témoignage formel, — et du plus en plus formel[1], — de Sainte-Beuve, qui écrivait du vivant, presque sous les yeux de Lamennais, et qui n’a pas été démenti par lui, le témoignage non moins formel de son neveu Ange Blaize. Je ne vois aucune raison valable pour ne pas accepter purement et simplement une tradition aussi solidement établie. Déjà nourri des philosophes du XVIIIe siècle, surtout de Jean-Jacques, l’enfant fit tant d’objections au prêtre chargé de le préparer à sa première communion qu’on ajourna la réception du sacrement, et ce n’est qu’au bout de dix ans qu’il en vint, — qu’il revint plutôt, — à la croyance et à la pratique religieuses.

Car sa première enfance avait été pieuse, très pieuse même ; ses camarades le surnommaient « le petit bigot, » et il n’est pas douteux, pour lui comme pour Chateaubriand, que ce sont ces souvenirs de piété enfantine qui lui sont remontés au cœur quand, en 1804, il revint à la foi. Mais entre dix et onze ans, son père, qui ne paraît pas avoir attaché à ces questions-là beaucoup d’importance, l’ayant confié à son beau-frère, le naïf et imprudent oncle des Saudrais, celui-ci, — candeur ou manie pédagogique à la Rousseau, — laissa vagabonder l’enfant dans une bibliothèque où abondaient les écrits philosophiques du

  1. Le portrait de Lamennais que Sainte-Beuve a publié ici même, dans la Revue du 1er février 1832, d’après des notes fournies par l’abbé Jean (Nouveaux Lundis, t. XI, p. 372), a subi, dans les diverses éditions des Critiques et Portraits contemporains, une série de retouches et d’additions successives qu’il serait fort curieux d’étudier de près.