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quelque arbitraire dans l’interprétation des faits ou des textes allégués[1]. Et enfin, il arrive parfois à M. Maréchal d’exagérer, de pousser jusqu’à l’extrême et au paradoxe ses idées les plus justes. Son sous-titre : Contribution à l’étude des origines du Romantisme religieux en France au XIXe siècle, nous révèle la conception particulière qu’il se forme de la personne de Lamennais et de son rôle historique. Pour lui, Lamennais est un romantique, — terme un peu vogue, et dont je voudrais bien une définition nette, — un disciple invétéré de Rousseau. Or, il y a du vrai, beaucoup de vrai, dans cette conception ; mais encore faut-il ne pas la convertir en idée fixe. À bien des égards, Lamennais dépasse et déborde le romantisme, et l’influence de Rousseau sur lui n’est pas aussi prépondérante et tyrannique que M. Maréchal voudrait nous le faire croire. « C’est la faute à Rousseau » est un mot que M. Maréchal, s’il ne le prononce pas, a toujours dans l’esprit et sous la plume pour la moindre des démarches de son héros. Est-il donc bien certain que, si Lamennais n’avait jamais connu Rousseau, il eût été très différent de ce qu’il a été ? J’en suis, pour ma part, moins sûr que lui… Mais je n’ai garde d’insister, et ces quelques observations critiques ne doivent pas donner le change sur l’estime singulière où il faut tenir cette vaste, savante et originale enquête, dont nous attendons la suite avec confiance et impatience, et sur laquelle nous aurons sans doute plus d’une fois à revenir.

De tous ces divers travaux, j’en voudrais retenir trois principalement : la grande étude de M. Maréchal sur la Jeunesse de Lamennais, le livre du P. Dudon sur Lamennais et le Saint-Siège, et la Correspondance avec Mme Cottu, publiée par

  1. Par exemple, p. 97, M. Maréchal voudrait attribuer à Félicité un opuscule inédit intitulé Réponse aux objections des athées, bien qu’il soit « de la main de Jean-Marie, » sous prétexte qu’il croit y « reconnaître la touche de Félicité. » Mais dans les Lettres inédites de J.-M. et F. de Lamennais adressées à Mgr Beulé (Paris, Bray, 1862, p. 48), l’abbé Jean revendique la paternité de cet opuscule : « Ma réponse… mes fautes… je l’ai composé, » écrit-il— Ailleurs, à propos d’un manuscrit inédit de Lamennais, intitulé : Témoignages des philosophes modernes en faveur de la religion chrétienne, M. Maréchal écrit : « Ces 70 pages si soigneusement rédigées sont probablement destinées à l’impression : elles commenceront sans doute une collection d’apologétique chrétienne. » (p. 98 ; . J’ai eu ce registre entre les mains ; j’y ai vu tout simplement un cahier de notes de lectures, un recueil de matériaux tout personnel ; et Lamennais devait d’autant moins songer à l’imprimer qu’il existait déjà des ouvrages de cette nature, un entre autres qui s’intitule, si j’ai bonne mémoire, les Apologistes involontaires.