Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

caractère, et telle qu’en Lorrain je l’avais toujours comprise, ville qui, comme toute ma province, bouillonne en dedans et se révèle par courtes et fortes explosions. Quelle lave circulait dans ces âmes, tandis que, presque silencieux, tout pâles de l’effort qu’ils faisaient pour se contenir, mais offrant comme le plus bel hommage une émotion toute en profondeur, les Messins, hier, regardaient, avec Pétain, les poilus, les drapeaux, la France rentrer en leur cite et ayant adopté — même les plus ardents — l’attitude de dévots devant les mystères de l’autel, éclataient en joie autour des feux de la place d’Armes, en indignation redoutable au pied de la dernière idole allemande.

Ce sont d’autres joies pour moi que celle, — un peu bien puérile, — que j’avais pu éprouver en prenant, au Kommando, où l’état-major Mangin a établi son Quartier Général, mon déjeuner dans les assiettes marqués au chiffre du XVIe corps allemand et qui furent celles du vieil Haeseler.

Que j’aimerais m’attarder dans les bras de la chère captive délivrée. Mais d’autres fers, cependant, tombent là-bas entre Vosges et Rhin et tout m’y appelle. Strasbourg va s’ouvrir aux libérateurs et déjà, à travers toute la province, le bruit court que la capitale va faire aux vainqueurs « le grand accueil. »


ENTRE METZ ET STRASBOURG

De Metz à Strasbourg par Delme, Château-Salins, Vic, la région des étangs, Sarrebourg, Phalsbourg, on suit, pour la plus grande part du chemin, la route courant derrière la ligne allemande qu’en prévision d’une attaque, effectivement menaçante, l’ennemi avait garnie de tout ce qui lui restait de matériel et de personnel disponible. Sans doute était-il (on en tient la preuve aujourd’hui) résolu, tant son désarroi militaire était grand, à abandonner la place de Metz, mais ce n’eût pas été sans une résistance d’autant plus acharnée, car il eût fallu « couvrir » l’opération. On s’en doute à voir le matériel abandonné aujourd’hui, les travaux désertés, les immenses cités de bois, le pays piétiné par une armée qui dut, la capitulation étant devenue générale, regagner le Rhin sans même essayer de se battre pour l’honneur. On a bien l’impression qu’un instant, ils y songèrent et l’appareil de guerre fait contraste aujourd’hui avec celui d’une fête qui, de village en village, de