Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 49.djvu/481

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

expriment avec ingénuité le besoin, le vœu et l’espoir de l’ordre. A toucher de leurs mains cet appareil encore belliqueux, ils s’estiment sauvés. Ils peuvent l’être, si l’appareil résiste aux influences délétères du milieu, et si l’on ose s’en servir. Mais presque fatalement on sera amené à s’en servir. Le moindre contact peut mettre les armées aux prises. Ce qui est certain, c’est qu’on ne gouverne ni dans la rue ni par la rue. Tant qu’il y a la rue, il n’y a pas de gouvernement. Ou la rue opprime le gouvernement et la Révolution s’exaspère en anarchie ; ou le gouvernement supprime la rue, et la Révolution s’achève en organisation. Une troisième hypothèse à envisager, ou du moins qu’on ne saurait exclure absolument, serait que l’armée de l’ordre intervînt, soit d’un mouvement spontané, soit sous une impulsion secrète, à la fois pour mater la rue et pour rendre à l’Allemagne pangermaniste, à la Prusse des généraux, des junkers et des professeurs, un gouvernement qui leur ressemble plus et où ils se reconnaissent mieux.

Ainsi que l’enfantement de la nouvelle Allemagne, s’il doit et s’il peut y avoir en vérité une Allemagne nouvelle, celui de la nouvelle Europe est partout ou douloureux ou difficile. Une à une les nations slaves sortent des limbes. Quelques-unes d’entre elles nous avaient valu d’assister à ce spectacle paradoxal d’un gouvernement existant avant l’État à gouverner ; et souvent, dans le passé, on avait pu voir des États sans gouvernement, mais ce qu’on n’avait pas encore vu, c’étaient des gouvernements sans États, des États sans frontières fixées et sans territoire défini. Nous vivons dans le temps des anticipations, et, loin de nous en plaindre, nous en sommes heureux. Le Conseil national yougo-slave a proclamé l’union avec la Serbie des pays Slovène, croate et dalmate de l’ancienne monarchie austro-hongroise ; au nom de son père, le roi Pierre, le prince Alexandre devient régent de cet État qui déborde de beaucoup les cadres de la plus grande Serbie, et qui réunit sous le même sceptre des nationalités sœurs, cousines ou voisines, mais distinctes. Comme conséquence de l’union, un ministère unique a été formé, et sous la présidence d’un ministre serbe, M. Protisch, avec deux vice-présidents, Mgr Korosec, Croate, le docteur Trumbitch, Dalmate. M. Nicolas Patchitch présidera la délégation yougo-slave à la Conférence.

Des discours et des manifestes échangés en cette occasion, nous ne noterons qu’une tendance. Tout ce qui, dans ces documents, est effusion de fraternité, joie de se jeter dans les bras l’un de l’autre, fierté de se sentir vivre, est touchant, admirable, et de grand cœur