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bien plus, à n’importe quel grossissement du microscope il était absolument impossible de reconnaître où cesse le tendon, où commence le greffon. Enfin, et ceci est le fait le plus important, le greffon qui était mort, lorsqu’on le mit en place, était redevenu parfaitement vivant ; sa trame conjonctive s’était repeuplée de cellules vivantes qui s’y étaient infiltrées peu à peu et provenaient du tendon adjacent.

En sacrifiant des chiens opérés ainsi à des époques plus ou moins éloignées de l’opération, on peut au microscope saisir sur le vif, à ses différents stades, cette immigration progressive, cette infiltration des cellules vivantes dans les cases vides du greffon mort. La ville était morte, dépeuplée : peu à peu les habitants la réoccupent ; elle renaît ; elle est ressuscitée. Est-il rien de plus admirable, de plus beau, au sens intelligent du mot, de plus féerique, que ce spectacle qui se déroule sous le champ étroit et pourtant gigantesque du microscope, et qui nous fait surprendre dans leur nudité dévoilée quelques-uns des mystères les plus étranges de la vie elle-même ?

Ces greffes mortes qui ressuscitent, après les avoir réalisées pour des organes d’importance secondaire comme les tendons, les auteurs les ont tentées pour des organes infiniment plus complexes et délicats : les artères. Ils ont remplacé chez des animaux des fragments de carotides par des greffons de carotides morts et conservés dans l’alcool, et qu’on recoud par des points de suture aux extrémités sectionnées. Les greffons, grâce à une technique qui nécessite d’ailleurs un vrai travail de fée et des prodiges d’adresse, ont subi une reviviscence complète avec résultat anatomique et fonctionnel parfait. — Bien mieux encore : des greffons d’animaux d’espèces différentes ont donné les mêmes résultats. Un fragment d’artère de mouton conservé dans l’alcool et greffé sur la carotide d’un chien a repris parfaitement, mais elle est devenue carotide de chien en se repeuplant de cellules canines.

Enfin, pour être définitivement fixés sur la valeur respective des greffons vivants et des greffons morts, les auteurs ont fait et répété l’expérience suivante : ils ont greffé sur un même chien, d’une part, à la place d’un fragment de sa carotide droite, un greffon mort depuis longtemps et tué dans l’alcool, d’autre part, à la carotide gauche un greffon vivant et conservé par le procédé du « cold-storage. » Le résultat, bien fait pour étonner a priori, et pourtant tout à fait conforme aux idées théoriques des auteurs, a été le suivant : le greffon mort a repris, s’est assimilé et a fonctionné beaucoup plus vite et plus facilement que le greffon vivant.