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de « travailleurs, » — équipes de jour et équipes de nuit, — qui s’étaient mis à l’élargir, autant que cela se pouvait, et à l’approprier. Mais vint le dégel ! En quelques heures, tout fut défoncé, et on se demanda, avec effroi, si la circulation n’allait pas se trouver, de ce l’ail, interrompue, si le tour de force d’avoir pu, à temps, mettre tout en branle, n’allait pas se trouver, du coup, complètement perdu !

Faire venir du caillou ? Il n’y fallait pas songer : car comment ? Tous les moyens de transport étaient accaparés : il n’y avait pas un seul camion à distraire des opérations militaires. Quant aux sections routières[1], qu’on pouvait appeler de partout (environ 180 camions), elles n’étaient bonnes que pour de très petits parcours, et à condition que l’on eut sur place les matières nécessaires. — Il n’y avait pas, dans ces conditions, à choisir ou à hésiter : on chercha sur place. Et on trouva.

Le long de la route, ou à peu de distance, on ouvrit des carrières de caillou ; et quarante-huit heures ne s’étaient pas écoulées que, déjà, des équipes de territoriaux, armés de pelles et de pioches, commençaient à rempierrer et s’attelaient à cette besogne ingrate qui, elle aussi, devait ne pas s’interrompre pendant des mois. Il n’était pas possible, du moins à ce moment-là, de faire usage de rouleaux compresseurs, la largeur de la route étant tout juste suffisante pour le passage des voitures : on jetait donc tout simplement, sans relâche, jour et nuit, des cailloux et toujours des cailloux, et c’étaient les camions qui étaient chargés d’écraser !

Le labeur de ces travailleurs de la route fut pénible[2]. Il fallait être là par tous les temps, souvent dans des endroits bombardés, casser les pierres, guetter l’intervalle entre les passages des camions, se précipiter au risque de se faire écraser, jeter et étaler à la hâte : beaucoup d’autres qu’on a récompensés n’ont peut-être pas fait plus que ces modestes serviteurs !

En tout cas, la question de la route était à peu près tranchée. Mais on allait avoir à s’occuper d’autre chose !

  1. Camions aménagés spécialement pour le transport des matériaux routiers.
  2. Sur ce sujet encore, il a couru des chiffres exagérés. Il n’y a jamais eu, sur la route. — et c’est déjà bien ! — plus de 1 200 travailleurs à la fois. Mais ils y jetèrent, en dix mois, plus de 100 000 tonnes de cailloux ! (Chiffres communiqués par le Service routier.)