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aussi devaient redescendre, rapides et souples, les voitures sanitaires, emportant des milliers de glorieux blessés ; cette route que la France et l’Europe, déjà, ne quittaient plus du regard, et que l’univers entier, ébloui d’admiration, allait appeler la « Voie Sacrée ! »

Modeste route de France !… ce n’était même pas une route nationale, mais, — il faut insister sur ce point, — une simple petite route départementale, étroite, toute tortueuse, nullement prévue ni pour un tel honneur, ni pour un tel travail.

La région qui s’étend entre Bar-le-Duc et Verdun est faite de grandes ondulations et de vastes vallonnements boisés : la route ne fait donc guère que monter et descendre, mais, heureusement, en pentes extrêmement douces. Elle est, par endroits, bordée d’arbres, et elle traverse une douzaine de villages, Naives, les trois Érize, Chaumont-sur-Aire, Issoncourt, Heippes, Souilly, Lemmes, etc. dont plusieurs paraissent ingénieusement plantés tout exprès pour favoriser les embouteillages.

La première décision prise, nous l’avons vu, avait été d’interdire, d’un bout à l’autre de cette artère principale, la circulation des voitures à chevaux. Or, il faut dire ici tout de suite, — et personne de ceux qui étaient là-bas ne me démentira, — que sans cette simple petite mesure, c’en était fait de Verdun[1].

On le comprendra facilement en méditant sur les quelques chiffres que voici :

D’après les pointages faits dans plusieurs cantons, il passa, sur cette route, jusqu’à 6 000 véhicules en un seul point par vingt-quatre heures, soit une moyenne de un véhicule par quatorze secondes. Les fréquences de passages furent parfois de un véhicule par cinq secondes pendant des heures.

Il circulait, dans la région, plus de 9 000 voitures automobiles[2]. Si, en effet, les cinquante et un groupes dont nous avons parlé ne représentaient guère que 3 500 camions environ[3], il faut y ajouter : près de 2 000 voitures de tourisme,

  1. Parmi les habitants de Verdun que j’ai pu interroger, tous ceux de qui l’opinion a quelque poids pensent ainsi.
  2. Ce chiffre devait monter, en juin, à 11 500.
  3. Ces cinquante et un groupes transportaient, par semaine : environ 90 000 hommes et 50 000 tonnes de matériel. Ils effectuaient, au total, plus d’un million de kilomètres en sept jours, ce qui équivaut à vingt-cinq fois la circonférence de la terre. Le chiffre global du tonnage effectué par le Service automobile pendant la durée de la bataille de Verdun, — chiffre assez difficile à préciser car il faut mélanger, avec le matériel, les hommes et les blessés, — paraît atteindre deux millions de formes. Si l’on avait déposé le tout au même endroit, en tas, on aurait une surface de 10 000 mètres carrés couverte sur plus de 200 mètres de hauteur : une vraie montagne !