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IV

Il serait scandaleux de laisser à Berlin les six panneaux du polyptyque de Saint-Bavon, après les incendies de Louvain et de Termonde, la ruine inutile de cette Halle aux draps, qui faisait d’Ypres un lieu de pèlerinage pour les artistes et pour les historiens, et qui était le plus imposant monument de la puissance civile des bourgeois dans les Flandres.

Le retable de l’Agneau mystique est l’œuvre capitale des deux frères Van Eyck, les peintres de nos ducs de Bourgogne, l’un des plus rares trésors de l’Art et l’orgueil de la ville de Gand. Mais le chef-d’œuvre est défiguré dans son intégralité par l’absence de huit grands panneaux originaux, remplacés par des copies sur les 21 compartiments qui forment cet important ouvrage. — Quoique l’ensemble se ferme comme un triptyque à deux volets peints sur les deux faces, il convient de considérer plutôt ce retable comme un polyptyque, car chaque panneau peint est indépendant.

Commandée par le Duc de Bourgogne, cette œuvre fut payée et donnée à Saint-Bavon de Gand par le bourgeois Josse Vyd et sa femme, qui font figure de donateurs agenouillés, à l’extérieur des volets du retable. Ils sont peints en grandeur réduite et « au naturel, » à côté de leurs saints patrons, les deux saints Jean, le Baptiste et l’Évangéliste, figures en statues de pierre dans un format encore plus petit.

Au-dessus, c’est le Mystère de l’Annonciation peint en grisaille dans quatre compartiments inégaux ; l’Archange et la Vierge sont éloignés l’un de l’autre par l’auguste silence de la nature recueillie, figurée ici par la vacuité des deux panneaux qui les séparent, et représentent une chambre de jeune fille flamande, dont les baies sont ouvertes aux tiédeurs de mai, montrant une Nazareth flamande inondée de lumière.

Plus haut, ce sont les Prophètes et les Sibylles, enturbannées comme des Persanes de Carpaccio, et déroulant des rubans couverts de textes prophétiques.

Le retable ouvert comprend douze compartiments inégaux, répartis avec symétrie, sur deux rangs, selon un plan de hiérarchie sacrée qui fait dominer, au centre, un magnifique Jésus, pontife et roi, assis sur son trône céleste, dans une dalmatique