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L’ALSACE ET LA LORRAINE RETROUVÉES.

réflexion et connaissance de cause, prennent une portée singulière et un sens particulièrement significatif.

Les jeunes filles de Metz ont épinglé la cocarde tricolore à leurs bonnets lorrains. Le costume des aïeules, tout ennobli de souvenirs et fleuri de grâces héréditaires, sied merveilleusement à la fraîcheur de leur teint rose, à l’éclat de leurs yeux clairs, au charme de leur sourire. On se sent au milieu d’une fête de famille, à qui le tempérament du pays et de la race donne un caractère de touchante gravité. On voit briller des cocardes toutes neuves sur des redingotes cérémonieuses qui, longtemps enfermées, sont sorties de l’armoire des ancêtres pour célébrer ce grand jour. Voici, près du Palais de Justice, à l’entrée de l’Esplanade, un vieux Messin qui porte sur sa poitrine la médaille de bronze, le ruban vert et noir de l’Année terrible, et qui, étant infirme, paralysé, ne pouvant marcher, s’est fait conduire par ses enfants et petits-enfants, en petite voiture, à l’endroit où il sera le mieux placé pour voir défiler la jeune armée française, aux fanfares de nos clairons vainqueurs. Autour du grand-père qui, ce jour-là, n’a pas pu rester dans sa chambre et qui a voulu, lui aussi, prendre sa part de la fête libératrice, se groupe un cortège de femmes et de jeunes filles. Elles lui parlent d’un ton infiniment doux et tendre. Elles ont entrepris, avec tous les égards que peut inspirer l’amour filial, de mener d’abord le cher vieillard devant le spectacle qui, à ce moment, peut lui causer le plus vif plaisir et la plus agréable surprise.

La foule, qui grossit de minute en minute aux abords de l’Esplanade, s’est amassée autour d’un piédestal, maintenant vide, où les Allemands avaient hissé, comme le colossal symbole de leur domination, une énorme statue équestre de Guillaume Ier, roi de Prusse, empereur d’Allemagne, coulée en bronze par un sculpteur qui désirait sans doute faire de son ouvrage une sorte de machine de guerre, comparable en tous points aux plus modernes engins de Krupp. Or, cette nuit, les enfants de Metz ont déboulonné le géant germanique. Ils sont venus sur cette place. Ils ont attaché des câbles aux jambes du cheval monstrueux, au torse du cavalier gigantesque. Ils se sont attelés au bronze injurieux, pour le renverser. De tout l’effort unanime de leurs jeunes bras ils ont tant tiré, tant travaillé, que voilà par terre cette majesté impériale, déchue et