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L’ALSACE ET LA LORRAINE RETROUVÉES.

exprimer le charme poignant de ce jour, en effet si bon, si beau, si longtemps attendu, enfin venu pour le réconfort de nos cœurs, pour le relèvement de nos ruines et pour la réalisation de nos plus légitimes espérances.

Plus on avance sur la route qui longe les bois de Saulny et de Vigneulles, moins on regarde les enseignes allemandes, indiquant les maisons d’où vont bientôt déguerpir les intrus. On n’y fait plus attention. Ces tristes vestiges d’un passé définitivement aboli s’effacent dans la splendeur de gloire qui environne, comme une auréole, nos armes victorieuses.

Et voici Metz, au-delà des bois, à l’horizon, dans la vallée. La cathédrale profile ses formes imposantes sur la grisaille d’un ciel ouaté de nuages légers, dans un paysage dont les discrètes et pénétrantes harmonies font penser aux plus émouvants chefs-d’œuvre de Claude Lorrain. Les clochers aux flèches aiguës ont un élan effilé, svelte, que semble encore alléger l’atmosphère de joie spirituelle où plane cette vision de la terre promise. Revoir Metz, non plus comme hier captive et voilée, mais libre, fière, victorieusement rendue à sa vocation historique, à sa destinée nationale, quel rêve ! Et cela est vrai. On se demande encore, par instants, si ce rêve est bien conforme à la réalité, si l’on ne va pas se réveiller d’un songe trop flatteur et retomber dans les deuils et dans les renoncements supportés, jour par jour, au cours d’un demi-siècle d’amertume. Mais non. Le bleu tendre, si joli, des uniformes français éclaire ce décor longtemps assombri par la présence odieuse du feldgrau, couleur morose des uniformes allemands. Quelle brave figure a ce territorial casqué d’acier, qui, posté en faction à l’entrée d’un pont, s’avance vers nous avec un large sourire, sous prétexte d’examiner nos passeports ! D’un œil cordial, il regarde rapidement nos papiers. Il ne demande pas mieux que de les trouver en règle. Il serait désolé, cela se voit, si l’oubli de quelque formalité administrative nous empêchait d’assister à l’entrée des troupes françaises dans la ville de Metz reconquise. Sa bonne face de soldat-paysan s’éclaire d’une expression de contentement intime. Heureux de constater, du premier regard, que nos pièces sont parfaitement régularisées, authentiquement visées, dûment signées, paraphées, timbrées, il nous les rend d’un geste sympathique, affectueux comme une poignée de main.