Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/836

Cette page a été validée par deux contributeurs.
832
REVUE DES DEUX MONDES.

parc d’énormes pièces lourdes que les ennemis ont laissées là, toutes camouflées de badigeon vert et brun, embourbées dans le sol durci par le gel, une porte s’ouvre, timidement. Une jeune fille apparaît au seuil d’un humble logis. Figure douce, de ce type meusien que le peintre lorrain Bastien-Lepage aimait à célébrer dans la beauté simple de ses tableaux d’histoire ou dans la probité véridique de ses portraits. Ces yeux bleus, très doux, ce teint clair, pâli par des années de tristesse, ce sourire chargé de mélancolie, la nuance tendre de ces cheveux blonds, tressés en lourdes nattes, mêlent une vision de grâce et de jeunesse à la désolation de ce village presque entièrement déshabité. Nous saluons cette jeune fille. Nous entrons dans la maison. Ses parents sont là, craintifs encore et comme hésitants devant l’évidence de leur libération. Précocement vieillis, endoloris par les interminables jours de ces quatre années d’épreuves et de catastrophes, ils semblent brisés par une sorte de courbature morale. Comment ont-ils pu vivre tout ce temps, en exil sur leur propre domaine, séparés de leur patrie, sans autres nouvelles que les rumeurs mensongères dont la propagande ennemie multipliait savamment les échos ? Ils ont deviné la victoire ; ils ont vu le départ des envahisseurs ; ils ont compris la signification de l’armistice, puisque, par une fenêtre de leur pauvre maison, nous apercevons un drapeau qui flotte à la fenêtre d’un de leurs voisins. Un gendarme, à bicyclette, est venu leur apprendre la bonne nouvelle. Mais ce brave homme, obligé de continuer sa tournée et d’aller plus loin réconforter les cœurs, n’a pas pu leur en dire bien long. Que de choses ils ignorent ! De combien de soins matériels et de quel ravitaillement moral n’auront-ils pas besoin, encore mal éveillés de l’horrible cauchemar, pour comprendre tout à fait, pour reprendre goût à la vie, au travail, à l’espérance, pour continuer, après cette sinistre interruption qui fut une douloureuse coupure, leur existence de Français !

Nous réitérons nos questions coutumières :

— Quand sont-ils partis ?

— Avant hier, à dix heures.

— Ont-ils pillé ?

— Ils ont brûlé des meubles. D’ailleurs, auparavant, ils avaient pris tout ce qui leur convenait en fait de mobilier, de linge.