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entre toutes, race obstinée et bien décidée à ne pas se laisser absorber par une civilisation qui lui est étrangère, ils peuvent paraître se résigner à l’inévitable ; mais rien ne pourra briser leur résistance passive. Quand la France enfin victorieuse rentrera dans ses provinces reconquises, elle trouvera les mêmes hommes qui envoyèrent en 1871 à Bordeaux les députés de la protestation. Et vous assisterez alors à un spectacle, comme jamais on n’en a vu, celui d’un peuple tout entier qui, dans l’extase de la patrie retrouvée, acclamera interminablement ses libérateurs, ses frères retrouvés. »

Ce spectacle, nous y assistons depuis deux semaines et il ne provoque de surprise que chez ceux qui ignoraient tout et de notre tempérament et de notre histoire. L’Alsace et la Lorraine, rançon de la France vaincue, sont le gage de la victoire française. Hier, elles souffraient en silence pour la patrie « momentanément absente de leurs foyers. » Aujourd’hui, elles fêtent avec un enthousiasme délirant la patrie retrouvée. Leur exil fut long et douloureux ; mais l’ivresse du retour n’en est que plus joyeuse. Ah ! cette étreinte du gai revoir comme elle est douce après l’interminable séparation !

Et voyez comme l’attachement à la France était profond chez les anciens annexés. En ces jours de bonheur, aucune note discordante ne se fait entendre. Ils sont tous là, nos intrépides paysans, nos vaillants ouvriers et ces braves petits bourgeois qui avaient conservé, au milieu des pires difficultés matérielles et des plus cruelles tortures morales, le culte du passé. Mais les autres, les demi-ralliés par faiblesse ou par intérêt, ne manquent pas davantage à l’appel. Du fond de leur âme, les vieux sentiments innés, l’appel ancestral de la race sont tout à coup remontés, dissipant, comme un vent de tempête, les petites habiletés, les calculs mesquins, tout ce brouillard de diplomatie naïve qui n’avait pas réussi à les étouffer.

Croyez-moi, ceux-là aussi sont sincères quand ils saluent très bas le drapeau de la France. Leurs défaillances d’autrefois n’étaient pas une trahison, mais l’expression du doute, du découragement, — chez beaucoup, du désespoir. Dieu nous garde, au lendemain de la victoire, de nous montrer trop sévères pour ces faibles, qui aimaient, eux aussi, l’ancienne patrie, la patrie de toujours ; mais qui avaient perdu la foi dans son relèvement et qui aujourd’hui, agréablement étonnés de retrouver la