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Lorsqu’on brûle une ruche, ils sont là quatre ou cinq,
La Fontaine et Platon, Virgile et Maeterlinck,
Qui semblent avec vous, abeilles, disparaître,
Comme si, complétant la victoire du Reitre,
Un peu plus d’humanisme encor disparaissait !

L’abeille, c’est l’esprit dans la lumière, c’est
Une goutte de miel qui monte entre deux ailes !
Comment ces Pesanteurs lui pardonneraient-elles ?
C’est le goût, c’est le choix rapide, c’est le tact,
D’abord le vague essor, et puis l’effort exact ;
C’est l’équilibre et c’est la sagesse, l’abeille !
Et quand l’intelligence humaine s’émerveille
De la ruche profonde, et d’y voir son destin
Mystérieusement ébauché par l’instinct,
A servir les Teutons elle n’est pas encline !
Cet ordre libre et doux n’est pas leur discipline.
Oui, la ruche murmure. Et par l’autodafé
Tout murmure doit être à l’instant étouffé !
L’abeille, qui jamais n’a pesé sur la rose,
Et qui n’entasse pas lourdement, mais compose,
Fine et bonne, et qui croit qu’un être sous le ciel
N’a droit à l’aiguillon que pour défendre un miel,
L’abeille est importune aux barbares ; leur haine
Egale leur mépris pour cette citoyenne
Qui n’arme que de frêle et tendre propolis,
Une cité construite avec le suc des lys !
Il faut des mouches d’or brûler la hutte blonde,
Afin qu’il n’y ait plus désormais sur le monde
Que des guêpes de fer dans des nids de béton !
Ce qu’ils veulent, — enfin le voit-on ? le sait-on ? —
C’est, pour qu’à tout jamais la matière nous ronge,
Qu’il n’y ait plus, au fond d’aucun homme, aucun songe,
Et plus aucune ruche au fond d’aucun jardin !
Le vaincu n’aurait plus dans sa treille, soudain,
— A quoi lui servirait d’avoir gardé sa treille ? —
Aucune abeille ! Et quand je dis aucune abeille,
Je veux dire plus rien d’harmonieux, plus rien
De noble, de léger, de pur, d’aérien,