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s’ennuie formidablement. Froid vif, brouillard. Je suis parti à 11 heures et demie. Dans le wagon, j’ai rencontré Mme Henry Maret. Nous avons causé de son mari, toujours malade, et de plus, prisonnier. Je l’ai rassurée. Nous réussirons à le faire entrer dans une maison de santé. Puis viendra l’amnistie. Arrivée à Versailles à midi et demi. Force formalités, D’abord M. Barthélemy-Saint-Hilaire. Nous avons causé amicalement ; dans l’intérêt de Roche fort, j’ai été doux, et ma révolution a fait bon ménage avec la réaction de M. Barthélemy-Saint-Hilaire. J’ai obtenu qu’on transférât Rochefort le plus tôt possible à Tours, où il aura un bon climat et une demi-liberté. Après M. Barthélemy-Saint-Hilaire, le préfet de Versailles, le secrétaire général, le directeur de la prison, etc. Il était trois heures quand j’ai pu voir Rochefort. On nous a laissés seuls tous les deux dans une cellule meublée d’un grabat et d’une latrine et où il y a deux fois le nom de Mourot gravé sur le plâtre du mur. C’est là en effet que Mourot a été enfermé. Rochefort commence à perdre patience. Je l’ai relevé en lui annonçant la très prochaine translation à Tours. Je lui ai dit que j’allais m’atteler à l’amnistie, et qu’il faudrait bien qu’on nous la donnât, et je l’ai invité à dîner pour le deuxième dimanche de mai 1872. Cela lui a rendu sa gaité et je l’ai quitté confiant dans l’avenir et content. Je suis resté avec lui une heure et demie. J’étais de retour à Paris à six heures du soir. Dans les gares, j’ai remarqué que les officiers qui vont et viennent entre Paris et Versailles lisaient beaucoup l’Ordre (le journal bonapartiste fait par Duvernois).

31 octobre. — Il y a trois jours, quand j’étais à Versailles pour voir Rochefort, j’ai vu passer dans l’avenue de Paris un groupe d’hommes entouré de soldats, marchant rapidement. C’étaient des prisonniers de la Commune qu’on emmenait je ne sais où. Ils étaient une centaine, gardés par une cinquantaine de fusiliers. La plupart avaient l’air fier, résolu et insouciant. Tous portaient en bandoulière ou à la main un sac ou un paquet ; quelques-uns, plusieurs. Ils allaient pêle-mêle en cohue, sans aucun alignement. Leurs vêtements avaient toutes les souillures de la promiscuité dans la paille, qui est si vite fumier. Je les regardais, ému. Un d’eux s’est mépris sur la fixité de mon regard et m’a dit presque avec colère : Vous pouvez me regarder, allez !

J’ai dit hier à Peyrat en parlant des hommes de la Commune le mot que j’avais dit aux quatre membres du Comité